Peut-être suivez-vous le compte « Pépite sexiste » sur Twitter et/ou Instagram. En ce cas, vous aurez vu passer des campagnes de Saint-Valentin d’un goût discutable, une réclame pour des sachets de thé jouant sur les rôles genrés dans la parentalité, la bannière d’un site e-commerce assumant le stéréotype de la femme dépensière, une palanquée de visuels de jouets genrés et du biais en veux-tu-en-voilà dans les messages publicitaires. La publicité aurait-elle du mal à faire sa révolution anti-sexiste ? On en parle !
Un brin d’histoire…
Pour certain·e·s historien·ne·s, l’histoire de la pub démarre à peu près au même moment que celle de l’écriture, environ 3000 ans avant notre ère. On peut en effet considérer certaines fresques et inscriptions comme des messages commerciaux. Mais on s’accorde à dire que la pub moderne est l’héritage d’une part des annonces dans la presse qu’on voit apparaître au XVIIè siècle et dont l’esprit se déploie avec l’affichage dans l’espace public au cours de la révolution industrielle et d’autre part de la révolution des médias audiovisuels au cours du XXè siècle avec les spots radios & télé. La troisième grande étape de cette histoire moderne est évidemment l’avènement de l’ère digitale.
Mais au cours de l’histoire, une chose n’a pas changé : le principe de l’économie de l’attention. Pour un publicitaire, une bonne pub, c’est une pub qui délivre un message incitatif (à consommer) de la façon la plus efficace qui soit, et cela au meilleur prix. Pour comprendre ce prix publicitaire, il faut intégrer le coût de production (la conception-rédaction, le graphisme, le tournage, le montage, les voix etc.) mais surtout le coût de diffusion : l’encart dans une page de journal se paie d’autant plus cher que son audience est large, la minute de radio ou de télé se facture à prix d’or aux horaires où le public est le plus nombreux et le plus attentif. On n’a pas vraiment la place et le temps pour de longues explications. Il faut être directement percutant pour toucher à l’endroit le plus sensible du cœur des consommateurs : les émotions.
Le stéréotype, meilleur ami de la pub ?
Mais qu’est-ce qui permet de produire un message rapide en résonnance avec les émotions ? Le stéréotype, pardi ! C’est cognitif : le système rapide de notre cerveau (celui qui vise à établir notre sentiment de sécurité et de confort) raffole de ce que l’on connait déjà, de ce à quoi l’on croit fermement, de ce qui économise les forces de notre système lent (celui qui nous pousse dans les retranchements de l’appréhension de l’ambiguïté, du doute critique, de la réflexion, de l’ouverture à des opinions diverses).
Le stéréotype a tout pour nous mettre à l’aise, nous toucher, nous amuser, nous faire rêver et désirer, nous flatter, nous faire oublier la complexité du réel, nous donner le sentiment agréable qu’on est dans le juste et le bien. Du pain bénit pour la pub qui doit en quelques instants attirer notre attention, nous raconter une histoire plaisante et ancrer une image de marque dans notre cerveau.
Le stéréotype de genre, un bon plan marketing ?
Il peut y avoir des stéréotypes sur à peu près tout : les classes sociales, les générations, les cultures, les métiers, les secteurs d’activité, les styles de musique etc. Mais le stéréotype de genre a un certain avantage sur beaucoup d’autres : s’il n’est pas universel dans ses formes (on ne portera pas le même regard sur les femmes et les hommes en tous points du globe), il est partout caractérisé par une répartition hiérachisée des rôles et fonctions attribuées au féminin et au masculin (on s’en réfère notamment aux travaux de Françoise Héritier pour affirmer ceci). Il est en tout cas traversant : il peut toucher plusieurs générations, plusieurs classes sociales, plusieurs cultures.
Prenons par exemple le stéréotype de la mère de famille, que la pub exploite volontiers dès qu’il s’agit de vendre des produits à destination des enfants ou des produits alimentaires et de consommation courante entrant dans le fameux « panier de la ménagère » : en une tenue vestimentaire sobre, un regard doux, un sourire chaleureux et quelques gestes bienveillants, il installe l’idée du soin, de l’attention, du bien-être, du foyer chaleureux, de l’épanouissement, bref du « bon ». Pas mal pour rendre désirables des goûters, des pots pour bébé, de la lessive, des plats préparés, du linge de maison, de la domotique et on en passe.
Autre exemple : le stéréotype de la femme fatale. Un corps sculptural, des lèvres pulpeuses, une chevelure cascadante, des épaules et/ou une cuisse dénudée et le tour est joué. L’histoire raconte qu’on ne résiste pas à son parfum, à la chaise design sur laquelle elle est adossée, à la lingerie sexy qu’elle porte. Si c’est pas tentant d’être aussi désirable qu’elle en adoptant les mêmes attributs !
Encore un ? Prenons l’idiote de service, celle qui ne sait pas faire un créneau, qui est gourde comme tout dès qu’il y a un peu de technologie et qui a une mémoire de poisson rouge. Elle a le mérite du ressort comique à bas prix : qui ne s’est jamais senti « un peu blonde » dans une situation ou une autre de la vie nous disait il y a quelques années un distributeur d’éléctroménager pour nous inviter à contacter sa hotline en cas de difficultés.
Objectivation et hypersexualisation des femmes : un témoin de l’effet « male gaze » ?
Mais parfois l’image de la femme semble complètement décorrélée du message que la pub veut véhiculer. La nudité féminine est ainsi exploitée dans les années 1970 pour vendre des pulls pour hommes, une voiture ou du mobilier de bureau mais aussi plus près de nous pour promouvoir des baskets, des abonnements à la salle de sports, pour vendre un sac à main, une moto, une chaudière, pour défendre la cause animale.
Mais pourquoi tant de femmes à poil dans la pub ? L’essayiste et journaliste Titiou Lecoq y voit (et elle n’est pas la seule) la marque du « male gaze » : ce regard masculin auquel on adresse les messages destinés à susciter le désir non seulement des hommes hétérosexuels (c’est pas idiot, les inégalités de rémunération font que leur pouvoir d’achat est supérieur à celui des femmes) mais aussi des femmes par effet de projection (l’imaginaire rend désirable pour les femmes ce qui prétend les rendre désirables aux yeux des hommes). La femme-objet aurait donc une fonction rationalisable dans la conception du message publicitaire puisque le boulot même du pubard, c’est de susciter le désir. Et le désir, ça va chercher du côté de nos inconscients…
Quand la pub joue au chat et à la souris avec les féministes
Il en est toutefois pour assumer en toute conscience un usage décomplexé du sexisme. Il y va parfois de flatter la masculinité toxique que l’on suppose chez ses cibles, comme par exemple dans le cas d’une marque de prot’ pour la musculation s’amusant en 2019 à diffuser une pub de femme dans une posture digne d’un film X avec la mention narquoise « On s’excuse auprès des féministes pour cette publicité. Mais bon… On s’est dit qu’on allait la publier quand même. Alors, s’il vous plait, prenez-le pour un compliment ». Grossièrement provocateur, le procédé place toutefois les mouvements de défense des droits et de la dignité des femmes dans une position inconfortable : réagir, c’est faire le boulot d’amplification de la diffusion en créant un buzz qui pourra contribuer à rassembler une partie de la communauté masculiniste sous le double couvert de l’humour et de la liberté d’expression anti-politiquement correct ; ne pas réagir, c’est adopter une certaine posture d’autocensure satisfaisant les misogynes qui n’aiment rien tant que de voir cloué le bec d’une féministe.
Mais la pub entretient le plus souvent des rapports nettement plus subtils aux militant·e·s des droits des femmes… Surtout depuis que la cause a gagné en visibilité et en respectabilité, à la faveur de grands mouvements internationaux comme #MeToo, de grandes campagnes institutionnelles telles que le dispositif #HeForShe de l’ONU, de la conscientisation croissante des grandes entreprises séduites par le logiciel de l’inclusion comme facteur de performance et de l’implication assumée de stars ultra-médiatisées (Beyoncé, Emma Watson, Taylor Swift, Myley Cyrus… Sans oublier les hommes : Ryan Gosling, Daniel Craig, Bono, Andy Murray…). Il devient de plus en plus intéressant, sur le plan marketing, d’associer sa marque au respect des femmes, voire à des messages militants et des engagements publics auprès d’acteurs de la lutte contre le sexisme et contre les violences faites aux femmes. Tandis que d’aucun·e·s dénoncent un « femwashing » opportuniste, mettant en cause la sincérité des annonceurs et publicitaires qui « surferaient » sur la vague #MeToo, d’autres se réjouissent plutôt que ce haut vecteur de pop culture et de soft power qu’est la pub s’empare des messages de l’égalité femmes/hommes.
Marie Donzel, pour le webmagazine EVE