Chaque année en octobre, on se mobilise contre le cancer du sein avec Octobre Rose. Et on enchaîne en novembre, cette fois-ci contre le cancer de la prostate, avec Movember. Un mois pour parler des maladies des femmes puis un mois pour parler des maladies des hommes. Quel est l’intérêt de « genrer » la mobilisation ? On en parle !
Qui est concerné ?
Le cancer du sein touche chaque année 58500 personnes en France (2,2 millions à l’échelle mondiale) et provoque 12000 décès (685000 dans le monde) par an. C’est le cancer le plus meurtrier chez les femmes. Il se déclare dans 80% des cas après 50 ans. Il touche aussi les hommes, qui représentent 0,5% des personnes atteintes.
Le cancer de la prostate est exclusivement masculin. On dénombre 50 500 nouveaux cas par an en France (1,3 million dans le monde) et 8200 morts (400 000 dans le monde). 95% des cas surviennent après 55 ans.
Qu’ont en commun cancer du sein et cancer de la prostate ?
Ces deux types de cancer ont beaucoup en commun. D’abord, s’ils touchent principalement la population « senior », ils n’épargnent pas les plus jeunes et se montrent particulièrement agressifs chez les sujets de moins de 50 ans.
Dans le même temps, ce sont des cancers qui quand ils sont pris précocement témoignent de bons pronostics de succès des traitements. On pourrait fortement réduire la mortalité de ces cancers en les détectant plus tôt.
De l’importance cruciale du dépistage. Or, seulement 52% des femmes et 42% des hommes en âge de se faire dépister font les examens.
De mêmes freins au dépistage chez les femmes et chez les hommes ?
Si ces deux cancers ont en commun de toucher l’intimité et la santé sexuelle, ce qui peut en soi constituer un motif d’appréhension pour tout individu, d’autres causes sont avancées pour expliquer l’insuffisant niveau du dépistage. Ces causes ne sont pas les mêmes chez les femmes et chez les hommes.
La démographe Isabelle Teychené classe les freins des femmes au dépistage du cancer du sein en 3 catégories :
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Les facteurs socio-démographiques
Ici jouent des aspects générationnels (le fait d’avoir été ou non sensibilisée, à différents âges de la vie, à des campagnes de prévention sanitaire, que ce soit pour le cancer du sein ou pour d’autres maladies), des questions d’accès à la santé (la désertification médicale a des effets sensibles sur la population féminine en ruralité), la situation conjugale (les femmes en couple se font davantage dépistées que les veuves, divorcées et célibataires), le niveau de diplômes (c’est chez les femmes les plus diplômées et chez celles qui n’ont pas de diplômes que le dépistage accuse le plus de retard), le nombre d’enfants (plus il augmente, moins les femmes sont à jour de leur mammographie)…
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L’histoire familiale
Ici, on pense évidemment en premier lieu au fait d’avoir dans sa famille des femmes qui ont été atteintes du cancer du sein mais la démographe porte aussi l’accent sur le parcours global de santé sur plusieurs générations, montrant une plus forte propension au dépistage chez les femmes qui viennent de familles où l’on attache de l’importance à la santé et où l’on a le réflexe de consulter régulièrement des professionnels à des fins de soin comme de prévention.
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La perception par les femmes de la prise en charge de la santé féminine
Ici interviennent les freins liés à une mauvaise expérience vécue ou perçue des examens d’ordre gynécologique. Entre gestes ressentis comme intrusifs voire brutaux, sentiment d’être traitées avec condescendance voire d’être infantilisées, propos culpabilisants voire humiliants, de nombreuses femmes manifestent une certaine méfiance quant aux acteurs de la santé féminine.
Les freins au dépistage des cancers masculins sont d’abord à trouver du côté d’un déficit d’information, indique un récent rapport d’enseignants-chercheurs hospitalo-universitaires. Manque d’information sur les risques, manque d’information sur les examens nécessaires au dépistage et même manque de connaissances de l’anatomie (beaucoup ne sauraient pas exactement où se situe leur prostate). A cela s’ajoute une série de résultats d’études contradictoires sur le rapport bénéfice/risque du dépistage du cancer de la prostate : certains travaux établissent en effet un surdiagnostic des cancers de la prostate, entraînant chirurgie et/ou traitements alors qu’une majorité de ces cancers sont dits « latents », c’est-à-dire à évolution lente et peu agressive. Mais on ne sait pas encore distinguer par les actions de dépistage un cancer de la prostate agressif d’un cancer « latent ». En attendant, les promoteurs de la manifestation Movember font valoir l’utilité d’un temps dédié aux maladies masculines dans le calendrier de l’attention citoyenne en raison de la moindre attention des hommes pour leur santé et de la surmorbidité et surmortalité masculines que cela induit. Il se pourrait que la donne ait changé avec le Covid-19 qui nous aura tou·te·s davantage sensibilisé·e·s à l’importance de prendre soin de notre santé. A suivre, sur le temps long …
Les termes du débat sur la médecine genrée
Les sujets de santé masculine/santé féminine débouchent nécessairement sur la question de la médecine genrée. Cette question est le plus souvent abordée sous l’angle des biais de la recherche médicale et de l’industrie pharmaceutique. Une abondante littérature a mis en évidence les impacts de ces biais sur les protocoles de diagnostic (entraînant par exemple un sous-diagnostic des risques d’ostéoporose chez les hommes et de maladie cardiovasculaire chez les femmes), les effets secondaires des traitements (quand les tests des médicaments sont réalisés sur une population majoritairement masculines) et les interactions soignant·e·s/patient·e·s (quand la douleur n’est pas considérée avec la même attention selon le genre de la personne souffrante).
Il faut compléter cette approche genrée des questions de santé par la dimension psychosociale et intégrer notamment le poids des stéréotypes de genre dans le rapport que les individus entretiennent à leur corps, à leur psychisme, à la maladie, à la prévention, aux soins, à la peur de la mort… Ces questionnements profondément intimes sont évidemment traversés par les influx des mentalités collectives. Ils viennent percuter nos perceptions conscientes et inconscientes de la force et de la fragilité, de la performance, des émotions… Aussi, si l’on veut davantage protéger chacun·e des risques de maladie qui peuvent être évitées ou mieux soignées pourvu d’être prises en charge précocement, il nous faut assurément œuvrer à ce que la parole des femmes et celle des hommes puissent plus librement s’exprimer et qu’elle soit entendue sur ce qui fait frein et levier à la prévention.
Marie Donzel, pour le webmagazine EVE