Entre défi de contenir le « big quit », volonté des organisations d’attirer à elles les meilleurs talents et nouveaux paradigmes de l’engagement, jamais on n’a autant parlé de la marque employeur. Mais qu’est-ce donc exactement que cette marque-là ?
1990’ : pour un nouvel avenir de la valeur des entreprises
Le concept de « marque employeur » a à peine plus de 30 ans. C’est l’entrepreneur Simon Barrow qui l’énonce pour la première fois en 1990 lors d’une conférence présentant l’approche du cabinet de conseil d’un tout nouveau genre qu’il vient de créer : People in Business. La conviction du businessman est faite : l’avenir des entreprises est au capital humain, à leur capacité à attirer, engager et fidéliser les talents, à la force de leur positionnement concurrentiel sur le marché du travail. Bien vu.
Six ans après avoir déclaré que l’avenir était à l’ « employer branding », Simon Barrow signe avec l’expert en sciences du marketing Tim Ambler un essai théorique publié par la London Business School : The employer brand.
La symétrie des attentions au cœur de la marque employeur
Barrow & Ambler s’appuient d’abord sur les études qui établissent une corrélation entre la satisfaction des consommateurs et la qualité de l’expérience collaborateur. Les travaux de Kotter & Heskett sur la culture d’entreprise comme facteur de performance mettent en évidence les effets du management et du leadership sur la productivité des employé·e·s et postulent que les entreprises qui traitent le mieux leurs équipes sont aussi celles qui donnent aux consommateurs le plus fort sentiment d’être bien servis.
Une idée qui sera développée et déposée par le groupe Accor au début des années 2000, sous le nom de « symétrie des attentions » : plus un·e employé·e est proche de la clientèle (agent au contact du public, vendeur/vendeuse, serveur/serveuse, hôte·sse d’accueil, téléconseiller·e, agent d’entretien ou de sécurité, contrôleur/contrôleuse…), plus il faut veiller à ce que ses conditions de travail soient bonnes.
C’est du bon sens : on est plus avenant·e, plus souriant·e, plus ouvert·e, plus volontaire et plus attentionné·e quand on est correctement rémunéré·e, managé·e avec intelligence et bienveillance, entendu·e sur ses besoins, reconnu·e et valorisé·e pour son travail. Pour le client, même le service le plus luxueux n’est pas satisfaisant s’il est offert dans une soupe à la grimace. Inversement, un service offert avec une attention palpable et un sourire sincère prend tout de suite un surcroît de valeur.
De l’expérience collaborateur à l’employé ambassadeur
Il y a donc un bénéfice direct à augmenter la qualité de l’expérience collaborateur mais aussi toute une série de bénéfices indirects. Considérant que le travail est constitutif de l’identité des individus même hors de l’espace-temps strictement dédié au travail, il est plutôt intéressant d’œuvrer à la fierté de ceux-ci.
Etre fier·e de son entreprise, c’est d’abord en être le premier consommateur des produits (la base du fordisme) ; c’est aussi en être un·e promoteur/promotrice potentiellement perçu·e comme d’autant plus crédible qu’il a les clés des coulisses… A noter que cela fonctionne sous certaines conditions : si vos collaborateurs/collaboratrices se comportent en hommes/femmes-sandwichs qui rabâchent du discours corporate sans souffrir la contradiction, c’est plus contre-productif qu’autre chose. En revanche, si le discours est authentique et qu’il respire la sincérité, preuves à l’appui que de l’intérieur, c’est vraiment une « bonne boîte », c’est fort pour le capital sympathie de l’entreprise… Et au passage, ça peut donner envie à d’autres de venir y bosser.
Vous avez dit bien-être au travail ?
La réelle qualité de l’expérience collaborateur est indispensable : aucune chance que vos salarié·e·s convainquent quiconque que votre boîte est top si dans les faits, le boulot les ennuie ou les épuise, le management les pressure et les censure, l’ambiance les gave ou les crispe. Le bien-être au travail, qui commence par le respect des conditions de travail telles que le cadre légal en définit a minima les règles, est clé.
Matière sensible s’il en est, le sentiment de bien-être au travail est très vulnérable aux couacs : un épisode de brutalité managériale, une frustration qui n’est pas entendue ou prise en compte, un conflit mal géré et la balance penche d’un coup du côté de l’expérience négative, sans que le calcul rationnel des avantages offerts par ailleurs ne puisse y faire grand-chose. En effet, à quoi bon disposer d’un baby-foot et d’une corbeille de fruits, pourquoi participer à de fantastiques séminaires de team-building et faire des pauses yoga & pleine conscience si c’est en allant au boulot la boule au ventre et y passer ses journées la tête pleine de contrariétés ?
La question du sens…
Pour le collaborateur-ambassadeur et peut-être encore plus pour le candidat, la question des valeurs et du sens a pris une toute nouvelle dimension depuis quelques années. Il y va du désir de rejoindre une organisation qui porte des valeurs résonnant avec celle des individus, des groupes sociaux (surtout ceux que les entreprises ciblent tout particulièrement parce qu’ils sont réputés regorger de « talents »)… Et de l’époque.
Le récent « appel à déserter » d’étudiant·e·s de grandes écoles en témoigne : les belles rémunérations, le beau portefeuille d’avantages sociaux, les belles perspectives de carrière, ce sera sans cette jeunesse éduquée si les entreprises ne justifient pas d’actions véritablement signifiantes pour réduire leur impact sur l’environnement. Et pas question de verser dans le washing, car si la « marque produits » peut encore reposer en partie sur une narration qui flatte les illusions, la marque employeur, elle exige la cohérence sérieuse entre valeurs annoncées et résultats objectivables dans la réalité.
La marque employeur, une communication ou une révélation ?
Toute la rhétorique de la marque employeur, à commencer par le principe même de l’application des techniques de vente de produits & services à la relation des individus au travail est aujourd’hui bousculée, sinon contestée.
La pensée du « marché du travail » comme un marché à l’équivalent des autres montre en effet ses limites, à l’heure où l’on aspire précisément à accéder au travers de l’activité professionnelle à ce qui n’est pas à vendre ou à ce qui se trouve corrompu quand on le marchande : le sens, le bien-être, le vivre-ensemble, l’espoir… Alors, c’est peut-être en apparence paradoxale, mais il se pourrait que l’avenir de la marque employeur soit aux entreprises qui se démarquent… En ne marketant pas tout !
Marie Donzel, pour le webmagazine EVE