Avec l’arrivée des soldes, il n’y a pas que les petits prix qui défilent sur nos écrans ; il y a aussi les blagues et les caricatures qui croquent les femmes en irréductibles dépensières, volontiers hystérisées par les réductions sur les chaussures et chiffons. Derrière l’imagerie, tout un panier de stéréotypes sur la frivolité des femmes, leur soumission aux sirènes de la société de consommation, leur certaine insouciance quant à la valeur de l’argent voire leur puérilité face au principe de frustration… Mais sous les clichés, quelle vérité ? Les femmes sont-elles réellement plus dépensières que les hommes ? On en parle !
Et pourtant, elles dépensent moins…
Nous sommes 66% à croire que les femmes sont plus dépensières que les hommes. Alors que c’est faux : les femmes dépensent 20% de moins que les hommes.
Mais dans le détail, quand même, il y a bien des postes sur lesquels elles font plus chauffer la CB ?
Allez, par exemple, l’habillement ? Eh bien non, selon la dernière étude CSA-Cofidis consacrée aux dépenses des Français·e·s, les femmes dépensent 11% de moins que les hommes pour se saper !
Bon, alors, la déco et l’équipement de la maison ? Non plus, elles lâchent 40% de moins que les hommes pour ce poste.
Les loisirs ? Toujours pas ! Ici, le différentiel de dépenses est de 30%.
La santé ? Essayez encore, car les hommes mettent 48% de plus de leur poche que les femmes pour se soigner.
L’alimentation ? Elles dépensent 12% de moins.
L’énergie (puisqu’il parait qu’elles sont plus frileuses et oublient souvent d’éteindre les lumières) ? 21% de moins.
Les transports ? 14% de moins.
En réalité, le seul poste sur lequel les femmes dépensent plus que les hommes en valeur absolue, c’est le logement. En moyenne, une Française y laisse chaque mois 508 euros, contre 450 euros pour un Français.
Mais leurs dépenses pèsent plus lourdement sur leur budget
Mais pourquoi dépensent-elles moins que les hommes ? Pour commencer, parce qu’elles ont moins de revenus ! Une femme française a en moyenne 1411 euros net de revenus/mois et un homme français 2213 euros net.
Cet écart de 37% autorise (un peu cyniquement) à lire différemment les chiffres ci-dessus énoncés car si l’on rapporte à la proportion de leurs moyens, les femmes dépensent en réalité nettement plus que les hommes :
- Le logement représente 36% du budget des femmes (20,5% du budget des hommes)
- L’alimentation : 23% (19% pour les hommes)
- L’énergie : 8% (6,5% pour les hommes)
- Les transports : 7% (6% pour les hommes)
- La santé : 7% (6,5% pour les hommes)
- L’habillement : 4% (3% pour les hommes)
- Les loisirs : 3% (2,7% pour les hommes)
- L’équipement de la maison représente la même proportion (3%) du budget des femmes et de celui des hommes
Il y a plus galérien que le galérien : la galérienne
Avec tout cela, il reste aux femmes une capacité d’épargne ou de constitution d’un matelas pour faire face aux imprévus de moins de 10% de leurs revenus quand celle des hommes avoisine les 35%.
Rien d’étonnant à ce que les femmes déclarent avoir du mal à boucler les fins de mois (une femme sur 4 contre un homme sur 6), soient plus souvent à découvert (une femme sur 2 l’est tous les moins ou presque contre un homme sur 3) et qu’elles aient davantage recours au crédit à la consommation (une femme sur 5 contre un homme sur 10) tout en renonçant plus souvent à des dépenses importantes faute de ressources pour les financer (70% des femmes contre 57% des hommes sont dans cette situation).
La monoparentalité, facteur d’appauvrissement des femmes
C’est sur les postes de première nécessité, faiblement compressibles, que les femmes voient la part de leur budget exploser par rapport à la proportion de revenus qu’y consacrent les hommes : logement et alimentation. Mais aussi, pourquoi donc dépensent-elles davantage que les hommes pour se loger ? A l’échelle d’une moyenne, cela s’explique tout bonnement par le fait que les familles monoparentales sont massivement composées de femmes seules avec enfants. Il leur faut donc plusieurs pièces quand le père isolé sans enfant peut s’installer dans une plus petite surface.
Mêmes causes, mêmes effets pour l’alimentation. Y compris en fréquentant davantage que les hommes les grandes surfaces à petits prix, en étant plus attentives aux tarifs des biens lorsqu’elles remplissent le caddie et chassant plus souvent les bonnes affaires (cartes de fidélité, coupons de réduction, offres spéciales), les femmes peinent à réduire la part de leurs dépenses affectée au remplissage des assiettes.
On observe parallèlement que c’est au prix de gros efforts sur leur confort minimal quotidien qu’elles contiennent leur facture énergétique et en se soignant au rabais qu’elles limitent leurs frais de santé.
La « pink tax » ou quand cela coûte plus cher parce que c’est « pour les femmes »
Il y a ce que les femmes ne peuvent pas payer moins cher… Il y a aussi ce qu’elles paient plus cher ! On parle de « pink tax » quand un produit marketé à destination des femmes fait l’objet de marges supérieures des producteurs et distributeurs qu’un produit équivalent pour les hommes.
Ainsi, pour une prestation équivalente chez le coiffeur, l’INSEE estime une différence de tarif de 28% selon le genre des cheveux ! Pour un déodorant en grande surface, comptez entre 6% et 34% de différentiel de prix selon que le contenant est rose ou noir, décrit le rapport remis au Parlement sur les différences de prix et de service selon le genre ! Pour un soin hydratant visage en grande surface, l’écart peut aller jusqu’à 60%. Un rasoir jetable, c’est jusqu’à 25%.
Tant qu’on est au rayon hygiène, parlons protections périodiques. Le calcul du prix à payer pour avoir ses règles est complexe comme le rappelle un article du Monde : selon les méthodes, on établit entre 1700 et 22 000 euros à l’échelle d’une vie de femme le budget tampons, serviettes, culotte menstruelle, cup & co (sans oublier les antispasmodiques). Difficile, avec de tels écarts, de comparer par exemple avec le prix à payer pour se raser quotidiennement le visage (en mettant à part ceux qui adoptent à vie le look hipster, bien entendu). Reste que la loi de 2016 qui a ramené la TVA des protections au niveau des produits de première nécessité a été une première avancée et que la multiplication des mesures de gratuité de l’accès aux protections en divers lieux partagés (universités, entreprises, restaurants…) sont appréciées.
Dis-moi ton genre, je te dirai ce que ça coûte
Sinon, il y a les prestations dont le prix est au sexe du client : en 2015, 19% des serruriers ne faisaient pas le même devis à une interlocutrice et à un interlocuteur au téléphone pour une prestation de même nature ; mais cela pouvait être dans les mêmes proportions à la défaveur des hommes ou des femmes.
Les dépanneurs automobiles quant à eux, sont 37% à faire payer moins cher les femmes que les hommes (et 13% à les faire payer plus cher).
Et les déménageurs, alors ? 12% d’entre eux font un devis de 20% inférieur à une cliente qu’à un client pour le même volume à emballer et transporter !
Et le rapport au Parlement de noter que ces différents prestataires de service offrent une meilleure expérience client aux femmes qu’aux hommes : une plus grande qualité d’écoute et des questions plus pertinentes au moment de l’analyse de la demande… En revanche, ils sont plus loquaces et plus pédagogues avec les hommes qu’avec les femmes au moment d’apporter de l’information technique sur le contenu de leur intervention.
Le couple, facteur d’enrichissement des femmes ?
Et au fait, est-ce que toutes ces questions de répartition genrée des dépenses se posent de la même manière quand on est célibataire et en couple ? La première intuition nous conduirait volontiers à croire que vivre avec deux revenus, c’est plus économique pour chacun des membres. Mais l’ouvrage de Lucile Quillet paru en octobre 2021, Le prix à payer, jette un pavé dans la mare : le couple hétérosexuel coûte un pognon de dingue aux femmes !
L’essayiste note qu’en plus de favoriser le ralentissement de carrière des femmes au nom du supposé arbitrage rationnel des foyers entre le coût de la garde des enfants et le manque à gagner du temps partiel de maman, le couple augmente ce qu’elle nomme la « charge esthétique » (la femme mariée s’épile, se maquille, se coiffe, s’habille davantage que la célib’) ; le couple est aussi le terreau d’une répartition des rôles « Madame PQ/Monsieur Auto » (sic) avec des effets de valorisation sociale assez distincts selon que l’on sorte sa carte pour payer le caddie au supermarché ou les options du bolide chez le concessionnaire ; et puis le couple dépense davantage d’argent (ramené au foyer par madame comme par monsieur) à investir dans la carrière de l’homme que dans celle de la femme (par exemple, on sort davantage entre couples de collègues des messieurs qu’entre couples des collègues des dames ; on dépense davantage pour les tenues de travail de monsieur que pour celles de madame qui peut plus facilement aller bosser en habits de tous les jours ; on s’expatrie là où Monsieur va gagner davantage même si cela exigera que madame dépense davantage pour les dépenses courantes du ménage etc.)
Si après tout ça, vous avez un peu le moral en berne, ne vous en rajoutez pas sur la patate en culpabilisant d’aller faire quelques dépenses plaisir. Et puis, au retour de votre shopping, n’hésitez pas à entrer en négociation : au sein du foyer, pour établir une répartition vraiment juste des dépenses et puis au boulot, pour obtenir enfin la rémunération que vous méritez !
Marie Donzel, pour le webmagazine EVE