Pour les un·e·s, c’est la fête du collier de nouilles ; pour les autres, c’est une rémanence de politiques natalistes (passéistes ?) ; pour d’autres encore, l’occasion de faire savoir que maman a de la charge mentale plein la tête et qu’elle aurait besoin de repos ; certain·e·s y voient une opération marketing qui n’a cependant pas que de mauvais côtés etc.
Mais pourquoi la fête des mères, marronnier parmi les marronniers, fait-elle donc tant parler ?
Fête de la fertilité ou fête des mères-courages ?
On fait remonter l’histoire de cette fête païenne à l’Antiquité où l’on célébrait la « mère des mères », Rhéa en Grèce et Cybèle dans le monde romain. Fille de la terre et du ciel, femme du temps et mère de Dieu, elle est honorée à Rome lors des fêtes mégalésiennes, pleinement dédiées à l’élan de vie. Rome fête aussi ses « matrones », épouses des citoyens, privées de droits politiques mais reconnues pour leurs qualités de femmes au foyer et de mères prolifiques. Car c’est bien la fertilité que l’on encense lors de ces fêtes qui ont toutes lieu au printemps… La première tentative d’instaurer une « fête des mères » à l’ère contemporaine ne s’y trompe pas : quand Napoléon en a l’idée en 1806, c’est pour honorer celles qui donnent beaucoup d’enfants à la France. Olympe de Gouges et Condorcet avaient eu d’autres idées, quelques années plus tôt pour valoriser les femmes, mais bon…
La fête des mères nous revient un siècle plus tard par l’axe transatlantique. Anna Jarvis, une jeune militante pacifiste réunit depuis plusieurs années des clubs de mères de soldats qui portent des messages de paix et échangent aussi à l’occasion de leurs réunions quelques astuces ménagères et autres recettes de cuisine. Quand en 1905, la mère de Jarvis décède, la militante plaide pour l’instauration d’une fête nationale des mamans. En 1914, elle obtient gain de cause. En 1918, la ville de Lyon emprunte l’idée venue des États-Unis pour rendre hommage à celles qui ont perdu un fils ou un époux pendant la guerre. Et en 1929, le gouvernement français instaure officiellement la Journée des mères. C’est en 1942 que Vichy revient aux sources napoléoniennes en donnant des accents natalistes et patriotiques à cette fête.
Du coup, entre mère-pondeuse et mère-courage, le cœur de la fête des mères balance… Mais toujours du côté d’assignations stéréotypées autour de la maternité.
La fête du marketing genré dès la maternelle ?
Jarvis n’avait pas prévu que sa fête des mères devienne une foire commerciale… Elle combattit donc ardemment cette dérive en réclamant la dénationalisation de la journée qu’elle avait elle-même demandée. Elle fut internée dans un sanatorium et la légende raconte que fleuristes et confiseurs payèrent ses frais de santé afin qu’elle y reste !
C’est qu’il y a là un bon filon : si on considère que près de 90% des femmes adultes de 25 ans et plus sont mères, ça en fait des cadeaux à acheter avec les sous de la tirelire… ou du portefeuille de papa !
L’offre est aussi pléthorique que joyeusement stéréotypée : des fleurs, des appareils ménagers, des savons et parfums, des bijoux, moins de bonbons que par le passé (lui ruiner ses efforts pour atteindre le summer body, est-ce bien un cadeau à lui faire ? ) mais plus de bouquins de développement personnel…
A moins que l’on fabrique le présent pour môman de ses blanches petites mains. Les écoles et centres de loisirs tiennent là une activité créative toute trouvée… Mais là aussi, l’objet renvoie volontiers à l’imagerie de la douce femme au foyer, patiente et tranquille, peut-être un peu cucul sur les bords. Pas franchement, le festival de l’empowerment !
Et les pères, alors ?
Mais est-ce que les pères sont traités différemment ? D’abord, l’histoire montre que leur fête nait en réaction à celle des mères. En effet, en même temps qu’Anna Jarvis milite pour que les mamans soient révérées (au moins) un jour par an, Sorona Dodd dont le papa a élevé les 6 enfants après la mort de son épouse, entre en action pour qu’un hommage soit aussi rendu aux darons. Mais rien à faire, les autorités n’en voient pas l’utilité.
Tant pis, ce que Dodd n’obtient pas des politiques, elle l’acquiert via le marché : elle démarche tailleurs et buralistes pour qu’ils lancent des opérations commerciales et publicitaires un jour de juin. Et ça marche. Si bien qu’en 1972, quand le Président Nixon décrète la fête des pères comme journée nationale, l’immense majorité de la population s’étonne que ce ne soit déjà le cas. La France a précédé le mouvement en 1952.
Et on leur offre quoi, aux papas ? A l’origine : des briquets ! Puis des couteaux et des stylos gravés, une montre, des cigares, un joli verre à whisky, des articles de petite maroquinerie, des boules de pétanque, une cravate… En DIY, aussi, on ne bidouille pas le même objet pour papa que pour maman : dessous de verre, porte-clés, pot à crayon, vide-poche…
Pourquoi pas la fête des parents ?
Bon, c’est gentil tout ça, mais les papas et les mamans ont un peu changé depuis un demi-siècle. Les mères travaillent et ont aussi besoin d’une montre ou d’un porte-documents ; les pères expriment davantage leur sensibilité et n’ont rien contre un bouquet, un flacon de sent-bon ou un joli bracelet…Mais ce qui a changé aussi, c’est que les structures de la famille se sont diversifiées : couples séparés, familles recomposées, parents en monoparentalité ne sont plus l’exception. Et puis « un papa et une maman », ce n’est plus le modèle unique de famille socialement acceptée.
Aussi, de plus en plus de voix s’élèvent pour que fêtes des mères et des pères soient fusionnées en une fête unique des parents, inclusive et dégenrée. Une occasion pour le milieu scolaire notamment, de simplement éduquer les esprits à s’intéresser moins à ce qui sépare et davantage à ce qui rassemble (les femmes et les hommes, les couples hétérosexuels et les couples homosexuels, les parents unis et les parents isolés…). A savoir, en l’espèce : l’amour !
Marie Donzel, pour le webmagazine EVE