En ce 17 avril, Journée de la Femme Digitale, nous vous proposons de faire un point sur la place des femmes dans le numérique. Combien sont-elles à y travailler ? A y entreprendre ? Le digital est-il l’avenir de l’égalité ? On répond à tant de questions et quelques autres…
Des métiers de plus en plus attractifs pour les femmes, un secteur qui l’est moins…
En France, les femmes comptent aujourd’hui pour 30% des salarié·e·s du numérique, tous métiers confondus. Mais le chiffre tombe à 18% si l’on ne prend en compte que les fonctions impliquant du développement et pas plus de 18,5% si l’on s’intéresse aux fonctions de management. Pourtant, il y a 25% de filles, aujourd’hui, dans les formations au digital. Sauf que seulement la moitié de ces diplômées vont effectivement travailler dans le numérique.
C’est que si les métiers du digital sont de plus en plus attractifs pour elles, il n’en est pas de même pour le secteur qui traîne sa réputation de village geek où la culture du trolling, des meutes en ligne, voire du harcèlement auraient libre cours. Une imagerie en large partie exagérée, dénonce Marine Deffrennes, autrice de l’essai Elles ont réussi dans le digital. Et de lister de nombreuses femmes d’affaires et start-uppeuses qui font mentir l’idée reçue.
Malgré de nombreux beaux succès, il ne faudrait pas se voiler la face, dit Emily Chang, journaliste et autrice de Brotopia, une grande enquête dans les coulisses de la Silicon Valley : le numérique reste traversé par une culture de «boys’ club », où la potacherie ordinaire mène volontiers au sexisme décomplexé et parfois aux comportements très inappropriés avec les femmes. Pour Chang, rien dans les métiers ni dans les compétences qu’ils exigent n’explique ni ne justifie cette « culture » : ce ne serait en fait que la réédition de phénomènes bien connus dans les environnements professionnels où il y a de forts enjeux d’argent et de pouvoir. Autrement dit, plus il y a à gagner, plus se constituent des castes jalouses de leurs privilèges, donc faiblement inclusives.
Un secteur en grand besoin d’inclusion
Pourtant, les géants du numérique se montrent de plus en plus soucieux d’inclusion. Chang rapporte dans son livre qu’un des co-fondateurs de Twitter lui a confié que si le réseau social s’était créé avec davantage de femmes dans les équipes, il aurait sans doute été un lieu moins envahi d’invectives, d’insultes, de contenus dégradants, de comportements harcelants. Marck Zuckerberg, dont l’empire s’est historiquement constitué autour d’un concept de notation du physique des filles de sa fac est aujourd’hui un ultra converti des bienfaits de la mixité et de la diversité, jusqu’à avoir créé sa fondation entièrement dédiée à l’inclusion. Tim Cook, PDG d’Apple affirme haut et fort que « c’est l’inclusion qui inspire l’innovation » et entend piloter de près la croissance de la part de femmes dans les nouveaux de recrutement. Microsoft multiplie les programmes pour former une nouvelle génération de femmes de numérique, pour attirer et garder les talents féminins en son sein, pour soutenir les femmes de tout l’écosystème digital, depuis les gameuses jusqu’aux start-uppeuses, en passant par les initiatives en faveur de l’inclusion numérique dans les pays en développement…
La conviction semble établie que l’économie d’avenir ne peut pas se passer de la moitié des ressources humaines disponibles, que la société de demain ne peut pas se bâtir sans prendre en compte tous les points de vue, que parmi les grands défis à relever, celui de l’égalité de genre au croisement de ceux du développement durable, de la paix ou de la santé est primordial. Cette conviction, c’est aussi celle qui anime les fondateurs du collectif Jamais Sans Elles ou quand des dirigeants de la French Tech décidèrent de se mobiliser pour que les nouvelles technologies et leurs implications dans toutes nos activités soient réellement l’affaire de tou·te·s.
Côté financements, ça patine… Et les start-uppeuses en pâtissent
Malgré cet engouement pour la mixité de l’écosystème de l’innovation, persiste un hic : le financement des entreprises créées par des femmes. Réduire les inégalités en ce champ est l’objet du collectif Sista qui a fait paraître en mars 2022 son 3è baromètre sur les conditions d’accès au financement des dirigeantes de start-up. Ce document révèle qu’une start-up fondée par une équipe 100% féminine est 4,3 fois moins bien financée qu’une équipe masculine. Une équipe mixte, en revanche, a 1,4 fois plus de chances d’obtenir des financements qu’une équipe non-mixte. Mais si 70% des femmes désireuses d’entreprendre dans les nouvelles technologies cherchent à s’associer avec des hommes, les start-uppers eux, sont seulement de 18% à chercher à compléter leur équipage avec des femmes. Et apparemment, il y a une forme de rationalité là-dessous, puisque dans tous les cas, s’associer avec un homme rapporte davantage que s’associer avec une femme !
A l’arrivée, les équipes strictement masculines captent 88% des financements, les équipes mixtes récoltent 11% et il reste moins de 1% pour les équipes 100% féminines.
Alors, sexistes, les financeurs de la nouvelle économie ? Pas consciemment, non, mais il faut noter pour commencer la part très réduite de femmes parmi les business angels (7%) et autres venture capitalists (moins de 10% sont composés d’équipes mixtes). Ensuite, le monde du financement à risques tend à chercher des repères sécurisants avant de s’engager. Un réflexe neurocognitif normal : plus l’environnement et l’avenir sont incertains, plus on cède aux réflexes conservateurs. Alors, les biais s’invitent aisément via l’image mentale du start-upper à succès… Et ce n’est pas une start-uppeuse qui s’affiche immédiatement dans les esprits.
Les financeurs avancent d’autres arguments pour expliquer les écarts de financement entre créateurs et créatrices du numérique : les femmes se lanceraient majoritairement dans des projets moins gourmands en cash que les hommes, du fait à la fois de leurs filières économiques de prédilection et du fait de leurs ambitions. Leur sur-représentation dans l’économie digitale à impact ne serait pas pour rien non plus dans le moindre niveau des montants obtenus. Autrement dit, ce qui se passe dans l’économie traditionnelle se transpose dans l’économie digitale.
Mondes virtuels, opportunités pour l’égalité réelle ?
Et au fait, à l’heure du métaverse et des univers parallèles, est-ce que nous nous saisissons de l’opportunité d’une page blanche pour imaginer un nouveau monde, différent de celui que nous connaissons et, au hasard, plus égalitaire ?
Dès le lancement d’Horizon Worlds, la journaliste Parmy Olson fait un reportage en immersion dans le tout nouveau monde virtuel lancé par le groupe Meta… Et décrit un « endroit gênant pour les femmes » : sur-représentation d’avatars masculins, comportements immatures, obscénités et provocations, intimidations, voire harcèlement. Quelques jours plus tard, une bêta-testeuse de la plateforme révèle qu’il n’a pas fallu longtemps pour que son avatar subisse des attouchements. Puis une autre femme fait part de comportements de harcèlement sexuel « moins de 60 secondes » après son entrée dans le monde virtuel. Les témoignages se succèdent au fil des semaines qui suivent. Alertée, la direction du Groupe Meta promet de renforcer la sécurité dans le cyberespace tandis que l’on débat des effets d’un « viol virtuel » sur l’intégrité physique et psychique de la personne humaine derrière l’avatar et que l’on se préoccupe de l’abolition de la frontière entre virtuel et réel que devrait permettre le développement des dispositifs haptiques. En effet, il existe déjà des vêtements et des accessoires « tactiles » activables à distance pour restituer les sensations de ce qui se déroule dans le virtuel.
Ce focus sur la reproduction des comportements de sexisme hostile du « monde réel » dans les univers parallèles est là pour nous rappeler que l’innovation technologique n’est pas en soi source de progrès social et culturel, ni même de transformations comportementales. Sans volonté des acteurs de l’économie numérique d’agir avec précision et détermination contre les inégalités femmes/hommes, le digital risque de ne faire que de de les reproduire, si ce n’est les accentuer.
Marie Donzel, pour le webmagazine EVE