C’est décidé, ça fait partie de vos bonnes résolutions et vous comptez bien vous y tenir : désormais, vous oserez dire non ! Mais comment faire ? La rédaction du webmagazine EVE partage avec vous les tuyaux des expert·e·s de la négo assertive et de la communication non-violente.
Lever les freins
Peur de ne pas se faire entendre ou comprendre, de blesser, de se confronter à l’hostilité voire de braquer, de laisser une image faussée de votre personnalité ou de vos intentions, de passer à côté d’une opportunité, de vous fermer des portes à jamais… C’est fou ce qu’il y a de raisons de s’interdire de dire non ! Mais pour beaucoup, il s’agit de croyances limitantes. Alors, ré-ouvrons le champ des possibles et pour cela, commençons par solder les comptes des expériences frustrantes que nous avons traversées — sans les digérer — quand nous avons opposé des refus. Analysons à froid ces situations pour identifier ce qui s’est passé pour soi, ce que l’on a compris des ressentis de l’autre, ce que cela a eu comme conséquences sur la relation. En posant ainsi les choses de façon non jugeante, il est possible de relativiser un grand nombre d’événements perçus comme dramatiques pour apprendre à mieux faire ensuite.
Exercice d’entrainement :
Allez hop, sur une feuille, on trace un tableau avec 4 colonnes.
1ère colonne : on donne un nom à une situation lors de laquelle on a dit « non ». C’est très important de nommer les choses, une étape essentielle pour commencer à y voir plus clair. Exemples : « Refus d’accorder une augmentation à X », « Refus de prendre tel poste », « Refus de soutenir Y dans ses difficultés avec Z ».
2è colonne : on note ce que l’on a ressenti en exprimant ce « non ». Plusieurs sentiments et émotions peuvent cohabiter, même contradictoires.
Exemples : « De la colère », « Du soulagement », « De la peur de décevoir », « De la gêne », « Une impression de malaise », « Le sentiment d’être dans le juste »…
3è colonne : ce que l’autre a exprimé, verbalement ou non, la façon dont il a réagi… Attention à ne pas lui prêter d’intentions ni à surinterpréter ces propos et gestes, on reste le plus factuel possible.
Exemples : « Elle/il a fondu en larmes», « Elle/il a fait une curieuse moue », « Elle/il a contre-argumenté », « Elle/il est parti sans rien dire », « Elle/il m’a remercié·e pour ma franchise », « Elle/il a manifesté de la colère/de la tristesse »…
4è colonne : ce que l’on perçoit des impacts de cette situation sur la relation.
Exemples : « Après cela, nos rapports ont été plus distants », « Un meilleur respect des règles depuis », « Une professionnalisation de nos échanges », « une succession de malentendus », « de la méfiance réciproque »…
Puis, armez-vous d’un stylo rouge et d’un stylo vert : avec le premier, soulignez tout ce qui vous apparait comme négatif dans les colonnes 2, 3 et 4 et avec le second tout ce qui vous semble relever du positif. Vous n’avez plus qu’à considérer que vous pouvez capitaliser sur le vert et réfléchir à comment vous pouvez vous y prendre autrement pour neutraliser le rouge !
Savoir à quoi l’on dit « oui » quand on dit « non »
On ne dit pas « non » pour le plaisir de dire « non ». Mais parce qu’il y va d’enjeux importants pour soi. En réalité, derrière tout refus que l’on veut adresser à autrui, il y a la préservation de quelque chose auquel on tient. C’est sur cela qu’il faut mettre le doigt ! Mais ce n’est pas toujours simple car la morale s’en mêle volontiers : si par exemple, on tient à faire respecter sa légitimité, on se reproche volontiers un rapport infantile à l’autorité ; si on tient à poser des limites, on craint de passer pour quelqu’un·e de rigide ; si on tient à rester neutre dans un conflit, on a vite fait de s’inquiéter de son éventuelle lâcheté ; si on tient à décider de ce que l’on fait de son argent, on ne veut pas non plus passer pour pingre… Alors, là encore, la clé, c’est la lucidité non jugeante : oui, on a des intérêts ; oui, on a des valeurs ; oui, on est attaché·e à certaines choses. Et alors ? Le tout est de savoir l’exprimer de façon explicite pour se faire entendre et comprendre, sans laisser l’autre dans des attentes floues ou des frustrations brouillées qui seraient propices à toutes les interprétations.
Exercice d’entrainement :
Ce coup-ci, on dresse trois colonnes.
Dans la première, identifiez des situations où vous n’avez pas osé dire « non ».
En face, dans la seconde colonne, indiquez ce qui motivait votre souhait de dire « non ».
Puis, dans la troisième colonne, indiquez l’effet que cela a eu sur vous d’aller contre vos besoins en acceptant quelque chose que vous auriez préféré de refuser.
Reproduisez sur une deuxième feuille les items de la 3è colonne et positionnez en face de chaque item les valeurs auxquelles vous êtes attaché·e. Par exemple, vous avez noté « j’ai eu le sentiment qu’on me forçait la main » et cela a touché à votre attachement au « consentement », au « respect de votre rythme », à la nécessité de « prendre en considération les points de vue différents ». Ainsi, vous identifiez des éléments d’ancrage que vous pourrez communiquer à vos interlocuteurs en situation de devoir dire non. Par exemple : « Je comprends que ce soit important et urgent pour toi. Mais je suis extrêmement attaché·e à ce qu’on respecte le temps dont j’ai besoin pour prendre une décision de qualité et je te demande de ne pas chercher à me forcer la main car c’est également important pour moi de préserver mon sentiment de liberté ».
Proposer des alternatives
Pour que votre « non » soit entendu, accepté et respecté, il faut qu’en face, on ressente que vous avez pris en compte le point de vue de l’autre et que vous êtes de bonne volonté. Vous n’êtes pas obligé·e de vous justifier quand vous exprimez un refus mais il est important de préserver l’estime de soi chez l’autre. Aussi, il faut le plus souvent possible lui offrir une porte de sortie par le haut ou, encore mieux, une alternative équitable. Une porte de sortie par le haut, c’est d’abord un message préservant la fierté et rassurant la personne sur le fait que ce n’est pas son identité ou sa personnalité qui sont en cause : « Je te dis non, parce que ce n’est pas possible pour moi, mais cela ne retire rien à tes qualités et au respect que j’ai pour toi et pour l’ensemble de ce que tu es ». Une alternative équitable consiste à aménager la proposition qui a suscité votre refus pour la rendre acceptable depuis votre point de vue : « Dans ces conditions, je ne peux pas te dire oui. Toutefois, dans un délai moins court/avec davantage de moyens/si tu me rassures sur tel ou tel point/si on peut retravailler ensemble les objectifs/si on apporte des garanties etc., je pense que l’on peut trouver un terrain d’entente satisfaisant pour nous deux ». La clé, c’est de toujours recentrer sur les intérêts fondamentaux : cernez ce qui compte vraiment pour vous et accompagnez l’autre dans l’expression de ce qui a vraiment de l’importance à ses yeux. Ainsi, vous pourrez exercer votre créativité en partage pour bâtir des solutions d’autant plus solides qu’elles auront été négociées sur la base d’intérêts bien posés.
Exercice d’entraînement :
Pensez à une situation dans laquelle vous avez dû aller contre votre volonté. Identifiez ce que cela a heurté en vous, en termes d’intérêts et de valeurs. Tâchez, de façon bienveillante et non jugeante, d’émettre des hypothèses sur ce qui se jouait pour la personne en face de vous afin de pouvoir imaginer un autre scénario « Quand j’ai laissé entendre que pour son augmentation ce n’était pas gagné d’office, il/elle a commencé à argumenter avec une certaine agressivité au sujet des résultats de ses collègues, qu’il/elle considérait inférieurs aux siens. Peut-être que c’est une personne qui a besoin de comparer pour être rassurée sur le fait qu’on la considère bien dans sa singularité et qu’on lui manifeste de la reconnaissance. S’il s’agit de cela, alors peut-être qu’au lieu de céder à sa pression tout en lui signifiant que je n’aimais pas trop qu’on tape sur les collègues, j’aurais dû orienter l’échange sur cet enjeu de besoin de reconnaissance et travailler avec elle sur la nécessité de coopérer plutôt que d’être en compétition et convenir d’objectifs en la matière pour l’année à venir ».
N’hésitez pas à faire cet exercice sur des situations très anodines de la vie courante, afin d’entretenir votre réflexe d’empathie et votre capacité à imaginer des alternatives constructives.
Marie Donzel, pour le webmagazine EVE
Pour aller plus loin :
Jean-Edouard Grésy, Ricardo Pérez-Nuckel, Julien Ohana, Comment les négociateurs réussissent, éd. Deboeck
Thomas d’Ansembourg, Cessez d’être gentil, soyez vrai, éd. De l’Homme
Frédéric Fanget, Affirmez-vous ! éd. Odile Jacob