« Leadership au féminin », vous avez dit « leadership au féminin » ? Une notion qui fait parfois grincer des dents mais pose une foule de bonnes questions : est-ce que les femmes exercent le pouvoir « autrement » que les hommes ? est-ce que la mixité est en soi une source de performance ? Est-ce que les « soft skills » sont traversées de stéréotypes de genre ?
Revenons une douzaine d’années en arrière. La loi Copé-Zimmermann n’existe pas et les conseils d’administration des grandes entreprises ne comptent pas plus de 12,5% de femmes. A l’Assemblée nationale, on atteint difficilement les 26%, en dépit de la loi sur la parité. Il ne vient à l’idée de personne (ou pas grand monde) que des hommes se mobilisent afin que, dans les tables rondes ou sur les plateaux des médias, il y ait au moins une femme dans le panel des expert·e·s appelé·e·s à prendre la parole. Le leadership n’a alors qu’un genre : le masculin.
Aujourd’hui, tout n’est pas encore gagné, tant s’en faut. Mais des progrès ont été accomplis, la mixité a conquis du terrain, les habits du leader ont tombé la cravate (même pour les hommes, dans beaucoup d’environnements… Jusqu’aux rangs de l’Assemblée).
Entre temps, une idée a fait son chemin : le leadership au féminin. Tout un concept nourri par des chiffres et des théories, critiqué aussi… La rédaction du webmagazine EVE fait le point !
Du leadership (tout court) au leadership féminin : un faux neutre démasqué
Par défaut, le « leadership » a longtemps été perçu comme une affaire masculine. Non que des femmes ne l’aient jamais endossé. Mais celles-ci étaient plutôt regardées comme l’exception à la règle… Et parfois tentée de « s’excuser » de s’introduire dans le monde des hommes (comme le fit Simone Veil en prologue de son discours d’ouverture des débats parlementaires portant sur la loi de dépénalisation & remboursement de l’IVG).
Que cela soit conscientisé ou non par les locuteurs de l’expression, « leadership au féminin » a pour fonction première de mettre en lumière la rareté (ou la nouveauté) des femmes occupant la position.
Un « autre » leadership ?
Quand le « leadership au féminin » fait son apparition, il est raillé par certain·e·s (on va causer mascara et chiffons en CoDir, hin hin hin) et valorisé par d’autres (enfin de la féminité dans ce monde de brutes !).
Et si c’était les deux faces d’une même pièce ? On s’interroge d’emblée sur le caractère possiblement essentialiste du leadership dit « au féminin » : les femmes exerceraient-elles autrement les responsabilités, du fait de leur genre ? On les pense à la fois plus concrètes et tournées sur le long terme (moins tactiques), plus humaines (moins autoritaires), plus « cerveau droit » (moins rationnelles), plus dans le savoir-être (que dans le savoir-faire), plus altruistes (moins intéressées), plus sérieuses (moins drôles), plus bavardes (moins discrètes), plus prudentes (moins audacieuses) etc.
Il n’en faut pas beaucoup plus pour rouvrir le grand débat nature/culture qui agite les esprits communs dès qu’il est question des stéréotypes sur un genre ou l’autre. On s’écharpe sur ce qu’il faudrait rapporter aux gènes, aux hormones, à la physiologie, à la morphologie des femmes ou ce qu’il conviendrait de mettre au crédit de constructions sociales.
Quelle perception du leadership par les femmes elles-mêmes ?
Alors, le plus simple n’est-il pas de sonder les premières concernées ? De nombreuses études voient le jour dans les années 2010 qui interrogent femmes et hommes, sur ce que le « leadership » des femmes recouvre. Où il apparait que les femmes auraient bel et bien une autre approche du leadership.
Rien que le choix des mots semble en témoigner. Quand parle de leadership aux femmes, on préfère dire « responsabilités » (au pluriel) plutôt que « pouvoir » ; « aspirations » plutôt qu’ « ambition » ; « assertivité » plutôt qu’ « autorité » ; « sens des situations » plutôt que « sens politique », etc. Un catalogue d’euphémismes ou bien un lexique qui dirait la préférence des femmes pour un « pouvoir doux », plus empreint d’influence que de puissance, mis en œuvre par les « soft skills » et recherchant la durabilité ?
Néanmoins, les études de perception sur le rapport des femmes au leadership vont voir leur crédibilité entachée par la mise en évidence de biais. Où l’on trouve par exemple douteux que certaines questions des sondages ne soient posées qu’aux femmes (comme celles qui se rapportent à la confiance en soi, à l’autocensure, à l’articulation des temps de vie…). Où l’on dénonce des anecdatas, ces opinions qui se font passer pour des faits scientifiques comme le fameux « les femmes attendent d’avoir 120% des compétences pour candidater à un poste quand les hommes se contentent de 60% » qui sera régulièrement repris jusque dans des travaux très sérieux à l’équivalent d’un résultat d’études alors qu’il s’agit d’un commentaire émis par un dirigeant sur les conclusions d’un rapport Women Matter.
La corrélation entre leadership au féminin et performance au banc d’essai
Malgré les critiques qui commencent à émerger sur la notion même d’ « au féminin », une idée s’impose dans les esprits : « féminiser » les instances de gouvernance permettrait de gagner en performance. De nombreux chiffres viennent appuyer le propos. Cela emporte la conviction des dirigeants du monde économique qui apprécient qu’un sujet longtemps porté par la posture militante se positionne désormais sur le terrain de l’efficacité économique. Un bon point pour la corrélation « leadership au féminin » et performance !
Mais cette corrélation aurait-elle ses pièges cachés ? La chercheuse Réjane Sénac note un renversement de valeurs où le féminin dévalorisé devient un féminin survalorisé. Elle y voit le risque qu’on « conditionne » la mixité au fait qu’elle rapporte ! Et alors, que se passerait-il si on découvrait que c’est une équation à somme nulle voire négative ? Faudrait-il renoncer à lutter contre le plafond de verre, voire accepter des retours en arrière ?
Pour un leadership équilibré, dans tous les sens du terme
A la notion de « leadership au féminin » succède bientôt celle de « leadership équilibré ». Il s’agit d’équilibrer les forces numériques dans les espaces de responsabilité, (autant de femmes que d’hommes dans les conseils d’administration, les CoDirs, le top management etc.) et de faire cohabiter harmonieusement les différentes compétences attendues du leadership contemporain.
Qu’on perçoive ces compétences comme féminines ou masculines est moins le sujet aujourd’hui que de voir les soft skills et les hard skills autant prises au sérieux, développées et mises en mouvement en quotidien.
Pour certain·e·s, le rapport de genre qui traverse la perception de ces champs de compétences fait frein à leur équivalente prise en compte : les soft-skills, que l’on attribue davantage aux femmes qu’aux hommes, auraient moins de chances de s’imposer, du fait d’une valence différentielle qui accorde moins de valeur à ce qui procède du féminin qu’à ce qui appartient au masculin. Pour d’autres, dégenrer le débat, ce serait au contraire favoriser l’adhésion de tou·te·s à la nécessité de renforcer son savoir-être, en appréhendant intelligence émotionnelle, empathie, communication non-violente, résilience, écologie relationnelle, agilité, dispositions pour la sérendipité, considération des identités et singularités, esprit d’inclusion, etc. avec le même professionnalisme que pour des matières techniques…
Marie Donzel, pour le webmagazine EVE