Sans doute saviez-vous déjà que le poulpe est redoutablement malin. Avec son sang bleu, son bec agile et ses 800 ventouses, il a fasciné les plus grands écrivains, de Melville à Hugo en passant bien sûr par Jules Verne… On nous l’a volontiers présenté comme une créature effrayante plutôt que comme un modèle inspirant pour le management ! Et pourtant… Le poulpe a plein de choses à partager avec celles et ceux qui veulent repenser les organisations.
Orphelin de naissance (sa mère meurt d’épuisement quand ses œufs éclosent. Quel boulot, n’est-ce pas, de donner la vie !), il a l’autonomie dans la peau et le sens de l’observation de son environnement (clé du sens politique) chevillé aux pustules. Quoique jaloux de sa bienheureuse solitude, il est joueur et sait collaborer, y compris avec des individus d’autres espèces, pour se nourrir, se protéger, se divertir… Il est précis dans ses gestes, de façon à économiser son énergie. Quand il est blessé, il sait régénérer jusqu’à ses membres amputés : un véritable artiste de la résilience. C’est cet animal doté d’une foule de soft-skills que l’anthropologue Emmanuelle Joseph-Dailly a choisi comme emblème pour proposer un ouvrage de « bio-inspiration » pour les organisations. Comprenez : un recueil de leçons du vivant pour mieux vivre ensemble, mieux travailler ensemble, mieux grandir ensemble.
Où l’on découvre que les baleines pratiquent le mentorat. Que les araignées font de leur capacité à se tenir immobiles comme à détaler à toutes pattes sur la toile savamment tissée qui fait leur territoire une véritable tactique pour maîtriser leur environnement en presque toutes circonstances. Que les écureuils ou les hérissons, avec leur bonne habitude de faire des réserves et de reconstituer leurs forces quand l’air du temps est énergivore, sont d’excellents prospectivistes, parfaitement adaptés à l’anticipation des inconnues du futur. Les rats, eux sont hédonistes : pour maximiser leur plaisir, ils savent se souvenir des expériences négatives et trouvent des parades pour qu’elles ne se reproduisent pas. Les grizzlis élèvent leurs petits dans le principe de l’union qui fait la force : ils leur apprennent à se regrouper pour avoir l’air plus massifs face aux prédateurs ! Les girafes ont des potes : elles kiffent les liens sociaux et comptent sur ceux (de leur espèce ou d’autres) avec qui elles ont un vécu partagé pour être au rendez-vous des jeux mais aussi en cas de coup dur ! Et puis, crocodiles et pluvians ont l’esprit gagnant-gagnant, idéal pour une coopération bien ordonnée : j’ouvre grand ma gueule pour que tu viennes y picorer, en échange de quoi tu me débarrasses des sangsues qui m’irritent les gencives ! Côté végétaux, les cyprès savent résister aux incendies et les coraux aux cyclones, comme de nombreuses espèces sont équipées pour faire face au chaos, en mettant notamment en œuvre de formidables compétences d’adaptation qui leur permettent notamment de se défaire du superflu en situation d’urgence et de s’assouplir plutôt que de contrer les forces adverses quand il y a des menaces…
Cessons tout de même de prendre les bêtes pour des idiots, les plantes pour des potiches et de considérer que l’humain est un animal quand il donne le pire de lui-même en matière de compétition, de violence ou de prédation. Rendons à la nature sa formidable ingéniosité et retrouvons au cœur du vivant toutes les qualités qui peuvent nous équiper pour améliorer notre quotidien comme pour relever les grands défis de demain. C’est à cela que le réjouissant ouvrage d’Emmanuelle Joseph-Dailly nous invite, de savoureuses anecdotes en pépites de vulgarisation scientifique.
Marie Donzel, pour le webmagazine EVE