L’éditeur de solutions informatiques pour la gestion des ressources humaines MHR a récemment fait paraître une étude relative aux effets de la crise CoViD sur le bien-être des collaborateurs & collaboratrices. Un chiffre a fait les gros titres de la presse spécialisée en questions sociales : 47% des salarié·e·s craignent qu’évoquer leur santé mentale au travail puisse nuire à leur carrière.
Rien d’anodin dans la question posée : la crise sanitaire et la crise économique qui l’accompagnent ont objectivement dégradé le bien-être psychique des travailleurs & travailleuses. Les statistiques des états anxieux ont bondi de 10 points entre début 2020 et septembre 2021 ; celles des problèmes de sommeil de 14 points sur la même période (avec 63% d’adultes qui déclarent mal dormir à l’heure actuelle) ; celles des pensées suicidaires de 5 points… On constate aussi une flambée des burn-outs, avec aujourd’hui près de 2 managers sur dix (18%) qui se disent à bout de force. Au total, 20% des salarié·e·s ont connu un arrêt de travail pour raisons psychologiques depuis les débuts de la pandémie.
Pour expliquer ce bondissement des souffrances psychosociales, plusieurs facteurs sont pointés du doigt : le caractère intrinsèquement anxiogène de la présence de la maladie dans le quotidien des individus ; l’isolement et la complexification des liens sociaux comme la sur-proximité avec le premier cercle familial, source de tensions et conflits, voire de violences ; la transformation des pratiques professionnelles avec une demande d’appropriation de nouveaux outils à un rythme cognitivement insoutenable ; l’excès de sollicitations corrélé à la massification du télétravail ; l’inquiétude quant aux perspectives d’emploi et de développement de carrière soumises aux aléas de la crise économique…
Bref, rien n’est fondamentalement surprenant dans le fait que la santé mentale des travailleurs et travailleuses soit précarisée par la crise que nous traversons. Ce qui est davantage interpelant, c’est la persistance du tabou autour du mal-être psychique dans l’environnement de travail, alors même disent les rapporteur·e·s de l’étude MHR que les employeurs ont pris précocement en compte cette dimension de la crise, en étant nombreux à mettre en place des solutions d’accompagnement pour les salarié·e·s en difficultés : lignes d’écoute anonymes, cellules de soutien, dispositifs d’urgence pour les situations de violences intrafamiliales, modules de sensibilisation aux RPS en travail à distance, ateliers de développement personnel et de préservation de la santé physique et mentale (relaxation, méditation, yoga…) etc.
Tout se passe un peu comme si la conscience des enjeux de santé mentale chez les employeurs ne rencontrait pas la confiance des collaborateurs et collaboratrices pour faire part de leurs difficultés et recevoir de l’aide via l’environnement de travail. Ce que craindraient les salarié·e·s qui taisent leurs souffrances psychiques, ce ne serait pas temps de ne pas être compris·es et aidé·e·s dans une période d’exception comme actuellement, mais les conséquences de leur craquage d’aujourd’hui sur le long terme. Autrement dit, l’image que gardera l’entreprise de celui/celle qui n’aura pas tenu le coup en 2020-2021. Se joue ici non seulement la perception par l’employeur qui pourrait nourrir inconsciemment une certaine défiance à l’endroit des « moins fort·e·s » quand il y aura des postes challengeants à pourvoir ; mais aussi l’image que le corps social pourrait durablement projeter sur telle personne qui a été confrontée à des difficultés susceptibles d’altérer sa confiance, ses capacités de concentration, de réflexion & d’analyse, sa disponibilité et ses modes d’interaction…
Gageons que la prise en compte accrue par le monde du travail des problématiques de santé mentale saura entraîner un mouvement de fond propice à simplifier le rapport de tou·te·s à la diversité neurocognitive et psychique ainsi qu’aux aléas de l’existence qui ne procèdent pas que de la maladie somatique ou des événements de la vie connus et socialement acceptés (unions – et désunions – conjugales, parentalité, dépendance d’un proche…).
Marie Donzel, pour le webmagazine EVE