L’adage est bien connu dans le monde des entreprises : ce qui ne se mesure pas n’existe pas. Aussi, pour faire progresser l’égalité professionnelle est-il indispensable d’identifier par les chiffres ce que sont les axes stratégiques d’une politique.
Mais récolte-t-on vraiment les bonnes données ? Et selon quelles méthodes ? Ces chiffres nous permettent-ils d’élaborer des politiques efficaces ? On met la question à la table des discussions.
Jamais les questions d’égalité femmes/hommes n’ont été autant mesurées
Études, sondages, enquête de perception, audits, index, baromètres, classements, rapports de situation comparée… Toutes les modalités de production de données chiffrées sont aujourd’hui mises à contribution pour objectiver les faits en matière d’égalité femmes/hommes. Pas une dimension de la thématique ne semble y échapper : écarts salariaux, part des femmes parmi les dirigeant·e·s ; proportion de femmes et d’hommes par secteurs d’activité et par corps de métier ; perception des stéréotypes de genre ; écarts de condition de santé, de logement, d’accès au crédit ; inégalités face à la conciliation des temps de vie, face à la formation, à la mobilité ; différences de comportement dans les moments où il faut se valoriser, où il faut négocier, où il faut décider, où il faut coopérer etc. Sans compter les désormais nombreuses publications sur la corrélation mixité/performance !
Si, il y a encore une vingtaine d’années, nous pouvions regretter un intérêt faiblard des pros du chiffre pour le sujet, force est de constater qu’aujourd’hui on se confronte plutôt à l’abondance de datas… Mais alors, pourquoi les progrès de l’égalité réelle ne sont pas au diapason de ce foisonnement d’indicateurs ?
Est-ce que l’on s’intéresse aux bons items ?
Abondance ne signifie pas forcément exhaustivité : on peut crouler sous les données, mais rater des faits sociaux restés dans l’angle mort du mouvement d’objectivation. Ainsi, nous notions déjà dans notre rapport EVE & Donzel de 2015 que si la condition des femmes les moins nanties et celle des femmes les mieux arrivées sont assez bien documentées par les études, il n’y a que peu de travaux chiffrés sur la situation des classes moyennes au prisme du genre.
On peut aussi questionner les choix de méthode pour élaborer les chiffres : par exemple, l’équité de rémunération prend généralement le salaire pour base, mais c’est passer à côté de toutes les autres formes de revenu venant de l’employeur (primes & bonus, intéressement, dividendes…) ou bien d’autres sources (revenus financiers et fonciers, crédits d’impôt…) ainsi qu’à côté des questions d’inégalités de richesse dans la population non-salariée (professions libérales, gérant·e·s d’entreprise, économie informelle…).
Par ailleurs, on constate que si la condition des femmes fait l’objet d’une attention soutenue de la part des structures productrices de données psychosociales, celle des hommes est nettement moins observée, à l’exception des questions de justice et de santé. Pourtant, de nombreux enjeux relatifs à la masculinité méritent qu’on s’y penche pour réussir une égalité qui ne saurait être que l’affaire des femmes : depuis les motifs d’autocensure des hommes jusqu’aux perceptions des évolutions sociétales rebattant les cartes de l’ordre genré en passant par les effets des stéréotypes sur les deux genres…
Comment objectiver les dynamiques ?
La critique du chiffrage de l’égalité porte par ailleurs sur l’insuffisance d’indicateurs consacrés aux dynamiques. En effet, les chiffres tendent à photographier l’état des choses à un temps t, ce qui ne laisse que la comparaison longitudinale pour approcher les mises en mouvement… Sans nécessairement donner d’information sur ce dont procèdent les évolutions.
En réponse à cette problématique, Pete Stone & Patrick Scharnitzky, auteurs de l’ouvrage Vers l’organisation inclusive : mesurer pour progresser publié en 2021 par l’AFMD, propose une méthodologie pour un baromètre mesurant l’efficacité des actions en faveur du respect de l’identité de chacun dans la pleine participation au collectif. Repartant des 5 piliers de l’inclusion qu’ils ont mis en évidence dans un précédent ouvrage, les deux consultants proposent de noter les actions de l’entreprise mais aussi les impacts de ces actions, notamment en termes de perception par le corps social. Ainsi, l’on peut commencer à cerner les effets d’une politique sur la population à laquelle celle-ci s’adresse.
Le modèle Stone & Scharnitzky/AFMD permet d’atteindre un niveau encore plus fin de détail en auscultant successivement les actions de la gouvernance, celles des RH, du management et de la communication pour les 5 piliers.
Un tel Baromètre devrait permettre d’identifier ce qui, dans l’arsenal des mesures d’inclusion, fonctionne et résonne le mieux dans un environnement donné. Un précieux outil de pilotage pour ajuster les politiques au plus près des besoins de chaque organisation, en phase avec les évolutions de son environnement et de la société tout entière.
Marie Donzel, pour le webmagazine EVE