Rencontre avec Sarah Vermande, co-auteure de la pièce « Femmes/Hommes recherchent égalité désespérément »
Il y a quelques semaines, nous rencontrions la très pétillante et très pertinente Blandine Métayer, au sujet de la reprise de Je Suis Top!, son one-woman-show consacré au leadership féminin. Blandine joue sa tragi-comédie du plafond de verre tous les lundis et mardis soirs au théâtre de l’Archipel. Le reste du temps, elle le passe en entreprise ou dans les cercles et réseaux professionnels qui la sollicitent pour venir faire rire (jaune ou de bon coeur) les hommes et les femmes sensibilisés aux questions d’égalité professionnelle.
C’est aussi en entreprise qu’intervient Théâtre à la carte, société de conseil et de production spécialisée depuis plus de 20 ans dans l’accompagnement des entreprises sur les grands enjeux sociétaux actuelles. Au programme des prestations de Théâtre à la Carte, toute une série de spectacles sur mesure qui mettent en perspective la dynamique du changement, l’efficacité professionnelle, le management, le savoir-être au travail, la préservation de l’environnement, la place des seniors, les risques psycho-sociaux, la culture d’entreprise… Et l’égalité femmes/hommes!
Nous avons pu voir le spectacle « Femmes/hommes recherchent égalité désespérément » et dans la foulée, nous avons interviewé Sarah Vermande, comédienne et co-auteure de la pièce. Rencontre.
Programme Eve : Bonjour Sarah. Vous êtes comédienne et vous avez le choix du théâtre en entreprise, pourquoi?
Sarah Vermande : Oui, le choix du théâtre en entreprise, entre autres activités artistiques et également militantes. Le théâtre en entreprise, c’est un formidable moyen de transmettre des messages engagés. C’est le privilège du fou du roi, on peut aller très loin, on peut mettre les pieds dans le plat.
C’est important pour susciter la réaction. Mais sur un sujet comme l’égalité professionnelle, ça nécessite aussi de savoir comment mettre les pieds dans le plat. C’est un sujet complexe et ambigu, qui demande de la finesse dans son approche.
Programme EVE : En quoi diriez-vous que l’égalité professionnelle est un thème particulièrement complexe et ambigu?
Sarah Vermande : D’abord, parce que ça touche à l’intime. Dans les perceptions du féminin et du masculin, il y a de la perception de soi, en tant que femme et en tant qu’homme dans sa vie amoureuse, familiale…
Ce sont aussi des perceptions dont on a héritées et qu’on transmet. Parler des stéréotypes, c’est très délicat, car on met en cause l’éducation que chacun-e a reçue et celle qu’il donne à ses enfants.
Les personnes peuvent se sentir assez vite jugées et avoir de vraies réactions de résistance. La résistance la plus commune consiste à dire que le sujet est dérisoire : « Oh, allez, c’est pas si grave, il y a plus important dans la vie ».
Si par exemple, vous mettez en question le stéréotype sexiste qui consiste à offrir une poupée à sa fille et une voiture à son fils à Noël, vous pouvez avoir l’air de critiquer un choix personnel, très intime, et on vous renverra facilement à quelque chose comme « Vous n’avez pas plus urgent à faire, les féministes, que de déballer les cadeaux de nos enfants pour le plaisir de chercher la petite bête et de gâcher la fête? ».
Le risque aussi, sur cette question, c’est de braquer les femmes autant que les hommes. Évoquer le caractère construit du genre provoque souvent une levée de bouclier essentialiste (« Une femme est une femme, quand même! Et un homme est un homme. C’est très bien comme ça ») et ranime la confusion fréquente entre « égal » et « identique » (« ah d’accord, alors vous voulez qu’il n’y ait plus d’hommes, plus de femmes, qu’on soit tous pareils, tous uniformes – quelle tristesse ! »)
Il faut pouvoir aborder ce sujet sans avoir l’air de faire des reproches, de façon à mettre en avant la distinction entre la différence (une chance) et l’inégalité (injuste) et aussi la distinction entre la responsabilité (chacun véhicule des clichés sexistes) et la culpabilité (on ne va pas se faire jeter des pierres parce qu’on a eu un mot maladroit).
Programme Eve : De quelle façon avez-vous travaillé avec Fabrice Agret, l’autre auteur de la pièce?
Sarah Vermande : L’idéal pour ce spectacle aurait été une double signature, d’un homme et d’une femme, mais il se trouve que Fabrice avait beaucoup plus d’expérience que moi, à la fois comme auteur et comme intervenant dans le monde de l’entreprise : c’est donc lui qui a pris en charge l’écriture de la pièce à proprement parler. Il se trouve que, tout en étant un père très impliqué et quelqu’un qui travaille beaucoup, et bien, avec les femmes (ou peut-être pour ces raisons même ), il ne s’était jusqu’ici pas particulièrement plongé dans cette question de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Mon rôle a d’abord consisté à lui apporter de la matière, avec mon éclairage propre, et de l’aider à recenser tous les aspects du sujet.
Programme EVE : Comment vous y êtes-vous pris pour recenser les aspects du sujet, de façon il est vrai, très exhaustive dans le spectacle?
Sarah Vermande : J’évolue dans les milieux féministes depuis un certain temps, je suis militante à La Barbe. J’avais donc déjà recueilli de nombreux témoignages de copines, de militantes, de femmes croisées ici et là, et pas mal lu sur le sujet…
Après, pour l’écriture du spectacle, Fabrice et moi avons mené des entretiens avec des personnes travaillant dans les entreprises clientes de Théâtre à la Carte. Nous avons parlé à beaucoup de femmes et quelques hommes, recueilli de nombreuses anecdotes que nous avons intégré à la pièce pour l’enrichir et lui apporter un surcroît de vérité. Par exemple, le coup du cadre sup qui prétend avoir un rendez-vous chez le dentiste pour sortir plus tôt du bureau parce qu’il n’assume pas de partir pour aller chercher le justaucorps de danse de sa fille, c’est véridique. Et c’est très parlant : ça dit toute l’autocensure de certains hommes. Ils ont envie de s’investir dans la vie familiale autant que dans la vie professionnelle, mais ne savent pas si le regard social va vraiment les y autoriser.
Programme EVE : Vous qui êtes à la fois artiste de spectacle vivant et militante active en faveur de l’égalité femmes/hommes, que pensez-vous de la polémique qui agite actuellement le milieu, sur l’insuffisance des femmes aux postes de direction des établissements publics culturels et artistiques?
Sarah Vermande : Je pense qu’il y a du pain sur la planche (rire)! Pour le dire sans détour, la situation sur le terrain de l’égalité professionnelle dans le spectacle vivant est catastrophique. Elle est catastrophique en chiffres et elle est catastrophique symboliquement. C’est le festival du cliché : la femme égérie, comédienne, séduisante, belle sur l’affiche et l’homme qui écrit, qui met en scène, qui dirige, qui produit. Le rapport Reine Prat de 2006 a montré qu’il est très difficile pour les femmes à la fois comédiennes et metteuses en scène de se faire embaucher comme comédiennes par des metteurs en scène homme – sans doute parce que ceux-ci vivent inconsciemment la rivalité comme insupportable.
Il y a de toutes façons, un énorme travail à faire dans les milieux dits cultivés. Ça va du spectacle vivant jusqu’au personnel politique, en passant par le cinéma, la presse, l’édition… Ce sont des milieux où l’on est convaincu d’être au-dessus de ça, d’avoir mené toute la réflexion intellectuelle nécessaire pour se dire anti-sexiste et de n’avoir de leçons à recevoir de personne sur cette question. Et pourtant, la réalité est sans appel : les patrons sont des hommes dans ces milieux-là.
J’ajouterais d’ailleurs ici qu’une des grandes richesses du théâtre en entreprise, c’est de pouvoir fréquenter des milieux très différents. On trouve parfois dans les entreprises (hors des entreprises culturelles) des gens qui ont une bien meilleure conscience des enjeux de l’égalité et qui sont sincèrement décidé à transformer leurs organisations pour aller vers cette égalité.
Propos recueillis par Marie Donzel
Remerciements à Julien Marié
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