En plein boom du développement personnel, les livres, podcasts, conférences et autres webinars qui traitent de l’acceptation et de la gestion des émotions sont légion. Est-ce à dire que nous sommes tou·te·s devenu·e·s des “hypersensibles” ? En ce cas, comment “gérer” nos émotions et celles des autres, notamment de nos collaborateurs et collaboratrices ? Et d’ailleurs, est-ce qu’accueillir tout ce qui touche à l’émotionnel des un·e·s et des autres compte parmi les attendus du management ? Comment développer son intelligence émotionnelle sans se prendre trop la tête ? Voici quelques conseils.
Faire leur (juste) place aux émotions au travail
Les émotions dans le monde professionnel, un tabou ? S’il fut une époque où l’on “cloisonnait” ses vies au point de masquer ses émotions jusqu’à n’être « pas la même personne » en privé et au boulot, force est de constater qu’aujourd’hui, il est de mieux en mieux admis que nous sommes des êtres entiers, corps, tête et cœur inséparables et que nous sommes tou·te·s traversé·e·s par des émotions (la peur, la joie, la tristesse, la colère, le dégoût…)/
Cette acceptation des émotions au boulot procède en large partie de l’attention portée à la qualité de vie au travail, de la prévention des risques psychosociaux et du développement des soft-skills. Car c’est démontré, étouffer ses émotions nuit à la santé, entame la qualité des relations, défavorise l’expression d’un leadership centré et équilibré. Du coup, on n’a pas vraiment le choix : les émotions sont là et faire comme si ce n’était pas le cas conduit parfois à la cata.
Mais est-ce si facile de faire avec nos émotions et celles des autres ? Sortons des pudeurs mal placées et des (auto)jugements hâtifs face à l’expression des émotions : qui pleure n’est pas faible, qui manifeste de la colère n’est pas soupe-au-lait, qui rit n’est pas crazy, qui appréhende certaines situations n’est pas poltron, qui grimace n’est pas snob ; mais chacun·e d’entre nous peut ressentir des émotions, ces signaux qui tirent la sonnette d’alarme de nos besoins intimes. Y compris au travail.
Surtout au travail, là où il y a souvent de forts enjeux d’identité, des situations challengeantes qui bousculent notre train-train, éventuellement des rapports de force ou de pouvoir qui éprouvent notre stabilité, possiblement des conflits… Accueillons nos émotions : les faire entrer par la grande porte, c’est éviter qu’elles braquent les fenêtres et nous débordent de tous côtés.
Une affaire de co-responsabilité
Il y a nos émotions… Et puis, il y a celle des autres ! Et nous ne sommes pas forcément tou·te·s tout le temps au diapason émotionnel. Ce qui m’excite peut faire peur à un·e autre ; ce qui me rend triste suscite de la colère ailleurs ; ce qui me fout en boule peut ne rien engendrer de saillant chez autrui… Alors, comment s’entendre (et travailler ensemble) dans une telle cacophonie émotionnelle ?
En jouant la co-responsabilité : chacun·e est responsable de l’accueil de ses propres émotions, chacun·e est invité·e à tenir compte des émotions des autres ; ensemble, nous sommes tou·te·s responsables du climat émotionnel qui règne dans le collectif. Concrètement, à quoi cela engage-t-il ?
- A l’honnêteté vis à vis de soi-même : quand je suis en colère, par exemple, je ne me fais pas croire que j’ai raison sur le fond et que les autres sont stupides de ne pas me suivre ; j’accueille la colère pour ce qu’elle est, le signal d’un besoin chez moi (d’être sécurisé·e sur ma légitimité, de gagner en reconnaissance, d’être considéré·e avec respect, d’avoir davantage d’autonomie…).
- A l’empathie pour les autres : leurs émotions sont valables et en chaussant les lunettes (ou si vous préférez les chaussures) d’une personne, on parvient mieux à cerner ce qui en produit la manifestation.
- A l’intérêt pour les dynamiques relationnelles au sein d’un collectif : quand une personne manifeste une émotion, cela ne concerne pas qu’elle mais parle aussi du contexte et de la situation ; par ailleurs, l’expression des émotions est en soi un facteur transformant pour l’environnement (personne ne se sent tout à fait pareil au sein d’une équipe après que des éclats de rire ont fusé, que des larmes ont coulé ou que de la colère s’est déclenchée).
Acceptation et compréhension
Une fois que la responsabilité de chacun·e est claire pour tous les intéressé·e·s, il va falloir faire quelque chose des émotions qui s’expriment dans le cadre du collectif de travail. “L’acceptance”, anglicisme signifiant “action de recevoir” est une des clés d’entrée dans une gestion qualitative des émotions : reconnaître l’émotion comme un droit, soutenir la personne qui l’exprime dans l’identification et la désignation de cette émotion et faire émerger le besoin sous-jacent qui s’y loge permet de mieux “se comprendre”. Autrement dit, de faire de l’émotion un sujet concernant pour toutes les parties impliquées directement ou impactées indirectement.
Mais en pratique, n’est-ce pas un peu l’usine à gaz, toutes ces étapes à observer pour accueillir une émotion (sachant que statistiquement, dans un collectif, il y en a toute une somme qui défile en une seule journée) ? Ce n’est pas tant une affaire d’étapes à suivre que de posture à tenir et à entraîner dans sa pratique quotidienne. Quand l’émotion s’exprime, donnons-lui de la voix et du verbe : votre collègue semble très contrarié·e par une situation donnée, faites-lui savoir que vous avez remarqué en lui accordant un regard bienveillant et/ou en lui demandant comment ça va, rendez-vous disponible pour un échange au sujet de ce qui la/le perturbe (éventuellement, en lui proposant de prendre un temps de pause ensemble), écoutez, manifestez votre intérêt et interrogez les besoins qui se cachent en coulisses.
Les apports de la Communication Non-Violente
Pour accompagner cette démarche maïeutique d’expression de l’émotion et des besoins qu’elle donne à prendre en considération, il est bienvenu de faire appel aux apports de la Communication Non-Violente (CNV). Celle-ci consiste à :
- Dire ce qu’on observe (en venir aux faits : “j’ai constaté que tu semblais contrarié·e durant la réunion…”)
- Communiquer ce que l’on ressent (mettre des mots sur les émotions : “Est-ce que ce qui a été dit t’a mis·e en colère ? t’a rendu·e triste ? inquiet·e ?…”)
- Exprimer les besoins non-satisfaits (suggérer de franchir un pas plus loin dans l’analyse de l’émotion exprimée : “Qu’est-ce qui te met particulièrement en colère dans ce qui a été dit ?…” )
- Faire advenir une demande claire (inviter à convertir l’expression du besoin en modalité d’action : “Est-ce que tu penses que ce serait utile de revenir sur cet épisode avec les protagonistes, afin que chacun·e puisse exprimer son point de vue de façon plus lisible et que tout le monde se comprenne mieux ?… En ce cas, qu’est-ce qui t’empêche de demander à prendre un petit moment de débrief ?… Tant que tu y mets les formes, tout en restant compréhensible sur tes objectifs, il n’y a pas de raison pour que ça ajoute du malaise au malaise…”)
La clé de la CNV est de faire place au maximum au “je” de la première personne : ainsi, on peut d’une part faire entendre sa voix singulière depuis son point de vue subjectif (mais pas moins valable que tout autre point de vue subjectif) mais aussi éviter les malentendus et les ressentis d’agression chez les autres. Autrement dit, exprimer “je suis assez triste de ce que j’ai entendu l’autre jour à propos de…”, c’est toujours plus efficace pour engager le dialogue que de jeter “C’est déplorable ce que tu dis au sujet de… C’est égoïste et ça ne m’étonne qu’à moitié venant de toi”. Entre ces deux extrêmes, mille et une nuances à faire moduler pour se faire comprendre au plus près de ses ressentis, de ses besoins et de sa demande.