Après une longue carrière en entreprise l’ayant menée jusqu’aux Comités Exécutifs de Lafarge et de L’Oréal (ndlr : partenaire du Programme EVE), Sara Ravella est aujourd’hui consultante, conférencière, co-initiatrice des « Rencontres atypiques »… Et autrice d’un livre dont le titre n’est pas sans résonner avec le motto de notre programme EVE : CAC Woman ? – Et si on pouvait réussir en restant soi-même ?
Nous avons lu avec bonheur cet ouvrage mariant le genre du témoignage à celui de l’essai de société et à l’exercice de l’anti-manuel de leadership.
Pour quoi « anti-manuel » ? Parce que s’il y a bien une chose à laquelle Sara Ravella ne croit pas en termes de leadership, c’est au formatage ! En revanche, elle porte de fortes convictions sur l’horizon des possibles. Un horizon que chacun·e d’entre nous doit pouvoir identifier en partant de ses qualités et de ses appétences. Mais un horizon que nous pouvons aussi toujours élargir à la faveur de ce que nous apprennent nos expériences, de ce que les rencontres provoquent de déclics, de ce à quoi les évolutions de notre vie personnelle nous appellent, des mutations de nos envies et de nos ambitions tout au long de la vie.
Cette affaire est une passionnante aventure d’existence, mais certainement pas un long fleuve tranquille, dit celle qui assume avec une franchise rafraîchissante avoir notamment fait l’expérience du sexisme. Un sexisme qu’elle replace dans le champ du soupçon larvé, jamais complètement exprimé mais palpable dans les questions qu’on ne se poserait pas au sujet d’un homme : mais que va faire une femme dans cette galère de l’ambition ? D’où elle sort ? Et puis, qui lui a fait la courte échelle ? Est-elle vraiment compétente ou va-t-on seulement la nommer parce qu’elle a les cheveux longs et que ça colle pile poil en temps de quotas ? Mais au fait, serait-elle du genre à sacrifier sa vie privée pour réussir professionnellement ? Et si en grimpant dans la hiérarchie, elle devenait « comme un homme, voire pire qu’un homme » (ce ne serait pas la première « reines des abeilles » qu’on croiserait) ? Tu crois qu’on pourra encore faire des blagues dans nos réunions quand elle y participera ?
Le plancher est glissant. Pas facile dans ces conditions de prendre son élan pour aller briser le plafond de verre ! A Sara Ravella, on a souvent dit qu’elle était « atypique ». Une drôle d’identité, entre admirable qualité des couteaux suisses qui savent se rendre partout utiles et agiles et figure du mouton à cinq pattes qui sait faire ce dont personne d’autre n’est capable mais qui font un peu peur car de ce fait, ils ne sont pas clonables.
Qu’à cela ne tienne, au lieu d’en faire un complexe, Sara Ravella a fait de son « atypisme » une force. Mais pas que pour elle-même. A regarder aux alentours, elle n’a pu que faire le constat que les « atypiques » sont partout : personne n’est conforme ni univoque par nature. Pour paraphraser Montaigne, nous sommes avant tout divers·e·s à l’intérieur de nous-mêmes que différent·e·s des autres. Alors, tout le monde a ses parts insoupçonnés de talents cachés, de potentiel inexploité, de capacités de développement qui ne demandent qu’à s’épanouir.
Mais c’est trop souvent la part immergée de l’iceberg, coulé sous le poids du conformisme social et des attendus stéréotypés. Pour la faire remonter à la surface, Sara Ravella entend capitaliser sur ce que nous avons tou·te·s en commun :
- le besoin de sens qui travaille tou·te·s celles et ceux pour qui répondre quotidiennement à la question « Pourquoi ? » constitue en soi une vitale énergie ;
- la relation aux opportunités qu’il nous faut libérer de la morale condamnant l’opportunisme pour entrer dans l’ère de l’audace et de la sérendipité ;
- l’envie qui est le moteur de la motivation et de l’engagement, pourvu que l’environnement de travail et le quotidien qu’il propose nourrissent le plaisir, le sentiment de satisfaction et la fierté ;
- la liberté, au croisement de l’autonomie qui demande du cadre sécurisant pour s’exercer et l’empowerment qui veut qu’on fasse place à l’esprit d’initiative ;
- l’authenticité qui interpelle l’individu dans sa renonciation à « jouer des rôles » dont les costumes ne lui vont pas si bien que ça… Mais aussi l’organisation dans son acceptation de ce qui était autrefois considéré comme « mettre les pieds dans le plat » et doit aujourd’hui et plus encore demain être regardé comme une loyauté infusée d’honnêteté ;
- le sens du collectif qui n’est que fertilisation de notre besoin de liens et gagne à être investi toujours plus d’esprit d’équipe, d’intelligence émotionnelle communicative, d’écologie relationnelle durable ;
- l’enthousiasme, ce fabuleux motif qui tisse ensemble les fils de l’optimisme, de la confiance et aussi de la fantaisie pour donner raison à celles et ceux qui osent, prennent des risques et des paris, en sachant que la vraie réussite c’est avant tout de vivre une aventure ;
- l’équilibre que Sara Ravella veut que l’on détache du seul « work life balance » parce que c’est évidemment bien trop réducteur de ramener à l’articulation des temps de vie ce qui est l’affaire de tou·te·s les funambules du quotidien que nous sommes, marchant sur le fil de l’existence en tentant de porter le regard au loin pour garder le cap tout en cherchant à savoir avec précision où nous mettons les pieds et comment nous positionner dans l’air ambiant et les vents contraires qui parfois le bousculent.
Le livre de Sara Ravella, c’est une bouffée d’oxygène : entre bon sens et impertinence, sincérité personnelle et recul sur le monde du travail comme il va (ou parfois ne va pas), conseils utiles mais jamais impératifs pour se (re)découvrir et invitation au voyage à l’intérieur de sa propre ambition hors les sentiers battus, c’est un essai aussi libérateur qu’énergisant… Et dont les messages n’ont pas pris une ride avec la crise CoViD. Bien au contraire.
Sara Ravella, Cac Woman ? Et si on pouvait réussir en restant soi-même ?, éd. du Limonaire, 2018
Marie Donzel, pour le webmagazine EVE