Voilà au moins une bonne décennie que nous n’avons que les soft skills à la bouche quand la conversation vient sur le terrain du management et du leadership. Entre liste à la Prévert égrenant l’empathie, la créativité, le sens politique, l’agilité, l’esprit intrapreneurial, la capacité à engager, la confiance accordée et la confiance inspirée etc. et programmes ambitieux de révision des façons de travailler, nous sommes apparemment tou·te·s convaincu·e·s que les « savoir-être » ont au moins autant d’importance, sinon plus que les « savoir-faire ».
Pourtant, force est de constater une certaine inertie des comportements managériaux et des méthodes traditionnelles d’évaluation des compétences. Alors, les soft skills sont-elles suffisamment prises au sérieux ? La rédaction du webmagazine EVE ouvre le débat.
Une conviction établie : les soft-skills sont au cœur des compétences d’avenir
Depuis la première occurrence du terme « soft skills », dans un manuel de formation édité par l’armée américaine en 1972 en vue de former les soldats aux nouvelles formes du conflit, des centaines de publication ont enrichi la bibliothèque du management. Tous ces écrits font un double constat : d’une, le monde change et il change vite ; de deux, on ne pourra plus jamais « encadrer » comme avant.
Le premier constat appelle tout un ensemble d’attendus s’adressant à tou·te·s : le sens des situations, la capacité à se remettre en question, la nécessité de se livrer à l’amélioration continue, l’esprit d’initiative, la créativité, l’agilité…
Du second constat, découlant en large partie du premier, on comprend l’urgence de l’inclusion, l’importance de l’empathie, de l’intelligence émotionnelle, la force de la capacité à faire confiance et à inspirer confiance, la puissance de l’art de faire valoir son point de vue sans faire argument d’autorité, le besoin de développer l’écologie relationnelle, et notamment une plus grande aisance à gérer des situations diversifiées et possiblement sensibles.
La conviction est établie : face à un avenir aussi incertain que rapide dans ses mutations, on a besoin de personnes « solidement souples », c’est-à-dire bien ancrées et équilibrées, tout en faisant montre d’une grande flexibilité et de bonnes capacités à se renouveler.
Une persistance de l’idée d’un « savoir-être » relevant des qualités de la personne plus que des compétences à acquérir
Mais qui sont ces gens ? Des têtes bien faites, bien élevées, qui ont un peu d’expérience de la vie ; sommes-nous tenté·e·s de répondre, non sans bon sens.
Sauf qu’avoir une tête bien faite, une bonne éducation et une certaine expérience de la vie, ce n’est pas donné à tout le monde. C’est même très inégalitairement réparti : les têtes bien faites se forment plus volontiers dans les environnements familiaux où la culture et le débat tiennent une bonne place ; la bonne éducation s’acquiert et s’exprime mieux dans un cadre de confiance ; l’expérience de la vie demande de gagner en âge, certes, mais aussi d’avoir des opportunités de prendre du recul pour analyser les situations et adopter des bonnes pratiques en conséquence. Bref, développer des soft skills, cela demande un investissement important, sur le long terme, dans un environnement favorable.
C’est là que l’entreprise a une carte à jouer, pourvu de ne plus considérer les soft skills comme des qualités appartenant aux individus mais bien comme des compétences appropriables par le plus grand nombre. Il s’agit de proposer une véritable formation aux soft skills, dont les modalités ne sont pas exactement les mêmes que la formation traditionnelle. Parce qu’elle vise à un élargissement des horizons, cette formation aux soft skills se doit d’être culturelle et inspirationnelle davantage qu’elle ne porte sur des actes, des gestes, des langages, des conseils et astuces à adopter tels quels. Parce que cette formation doit produire de l’ancrage dans les postures, elle appelle un entraînement régulier, par étapes et dans le respect de la zone proximale de développement. Parce que cette formation ne produit d’effets que dans un environnement favorable, inclusif et confiant, traversé par l’écologie relationnelle, il est fondamental qu’elle s’accompagne de transformations des façons de faire (produire, manager, évaluer…).
Le défi de l’identification et de l’évaluation de ces compétences
Quoique désormais considérées comme essentielles, les soft skills peinent à trouver un modèle d’identification, notamment pour le recrutement ; et d’évaluation en particulier pour la reconnaissance objectivée de leur apport à la performance.
Pour la partie identification & recrutement, les questionnaires de personnalité, éventuellement associés à des mises en situation permettent d’obtenir un aperçu des postures et comportements. Les tests les plus aboutis visent à l’estimation d’une zone de confort dans certains champs des soft skills et à la mise en évidence de zones d’effort dans d’autres dimensions. Ils permettent d’associer des compétences appropriées aux fonctions qui en sont le plus demandeuses et de planifier la montée en maturité sur les compétences moins acquises. Néanmoins, la méthode du test de personnalité comme celle de la mise en situation, n’écarte pas le risque de biais de désirabilité sociale. Autrement dit, le/la candidat·e qui s’y soumet peut faire l’exercice en pressentant les attendus et en donnant des gages de savoir-être pour y répondre, sans que ces témoignages comportementaux soient véritablement des marqueurs forts de son profil au quotidien. Par exemple, il/elle peut maîtriser l’empathie de façon technique et donc savoir se montrer empathique dans une situation précise où cela est demandé ; mais ne pas avoir développé de réflexe empathique l’amenant à se mettre systématique à la place de l’autre en toutes situations.
Sur le plan de l’évaluation, la feuille est encore quasiment blanche dans les organisations. Les « savoir-être » entrent dans les critères qualitatifs… Avec une certaine dose de subjectivité, c’est à tout le moins l’impression que cela laisse à une majorité de collaborateurs et collaboratrices. En effet, les efforts fournis pour s’adapter, pour coopérer, pour embarquer le collectif, pour contribuer à l’entretien d’un environnement sain et inclusif semblent encore sous-estimés par rapport à la performance quantitative… Mais surtout, il semble que leur appréciation relève essentiellement de la qualité de la relation manager-collaborateur. Autrement dit : si vous avez de bonnes relations avec votre boss, vous ferez plus facilement valoir vos soft skills que si vous êtes en bisbille avec. Certes, il y va de compétences douces de savoir manager son manager, mais cela ne fait certainement pas tout de la compétence relationnelle et émotionnelle. Ce qui nous amène forcément à suggérer que pour que les soft skills soient vraiment prises au sérieux, il faut aussi œuvrer à la refondation de la relation managériale et des process qui la régulent.
Marie Donzel, pour le webmagazine EVE
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