La motivation est l’un des leviers d’une vie professionnelle équilibrée pour l’individu et d’un engagement de qualité dans l’organisation. Savoir identifier les besoins des collaborateurs et collaboratrices permet d’agir avec davantage de pertinence lorsqu’il faut mobiliser leur énergie et entretenir la performance individuelle et collective. Plusieurs théories essayent de saisir cette « force » humaine, parmi lesquelles la « pyramide des besoins » développée par le psychologue américain Abraham Maslow. Cet outil a gagné beaucoup de notoriété au fil des ans en raison de sa complexité et de son apport aux sciences sociales et du management. Pour comprendre l’intérêt autour de cette théorie, il faudrait regarder de plus près ses variations, ses applications et ses controverses…
Qui est Abraham Maslow ?
Mais tout d’abord : qui est donc Abraham Maslow ? Né à New York en 1908, Abraham Maslow étudie à l’Université de Wisconsin et à la New School for Social Research. Maslow s’intéresse d’abord à la philosophie avant de de se tourner vers la psychologie – une science qui, pour lui, avait des effets plus « directs » dans la société. Les horreurs de la deuxième Guerre mondiale, ainsi que des expériences personnelles l’amènent à se focaliser sur l’origine des motivations humaines et sur la quête d’accomplissement. Considéré par certains comme le « père de la psychologie humaniste », Maslow a dû faire face aux deux puissances intellectuelles de son époque : le behaviorisme et le courant freudien. Comme pour échapper à cette dualité, il s’est chargé de contribuer à la fortification d’une théorie prenant en compte l’humain dans tous ses aspects et selon le contexte où il est inséré.
La pyramide des besoins : Comment ça marche ?
Selon Malsow, l’être humain doit répondre à 5 besoins vitaux pour arriver à un état de bien-être et de réalisation personnelle :
- l’alimentation (ne pas avoir faim, soif…)
- la sécurité (avoir un toit, évoluer dans différents espaces sans se sentir menacé·e…)
- l’appartenance et l’amour (être inséré·e dans une communauté, être en lien avec les autres, bénéficier d’affection et en donner)
- l’estime de soi (se sentir comme ayant de la valeur, se savoir capable de résilience)
- l’accomplissement (pouvoir – se – réaliser en réalisant des projets).
Mais surtout, selon la logique de Maslow, les besoins sont ordonnés : le premier besoin de la pyramide doit être satisfait pour que le suivant puisse être envisagé. Nous devons donc commencer par nous nourrir, ensuite, nous éprouvons le besoin de nous sentir en sécurité, etc. L’auteur précise néanmoins qu’il ne s’agit pas d’une évolution « automatique » d’un besoin à l’autre lorsqu’on atteint la barre de 100% de réussite. Pour être plus « réaliste », comme Maslow le voudrait, il faut réfléchir à des taux de pourcentage qui permettent de traverser les étapes au fur et à mesure. Par exemple, si l’on remplit un quota de 25% concernant l’alimentation, le besoin de sécurité apparaît petit à petit et ainsi de suite.
Quels usages de la « pyramide des besoins » ?
La pyramide des besoins a été employée dans plusieurs domaines. Dans les RH, par exemple, elle a longtemps été utilisée pour analyser la motivation des salarié·e·s, afin de prendre des mesures visant à l’augmenter. La rémunération, par exemple, est supposée répondre d’abord aux besoins primaires de se nourrir, se loger… Mais la qualité du collectif de travail va aussi contribuer au sentiment d’appartenance. La reconnaissance œuvrer au renforcement de l’estime de soi. L’autonomie favoriser le sentiment d’accomplissement.
En marketing, les théories de Maslow ont pu inspirer des stratégies visant à encourager les réflexes d’achat : par exemple, en élevant un produit de consommation courant au rang d’aliment « bon pour la santé » (répondant donc au besoin de sécurité), en valorisant tel autre comme étant un agent de renforcement d’estime de soi via la beauté qu’il promet de rehausser. Ou encore des ordinateurs ou téléphones dont la marque est un signe distinctif (sentiment d’appartenance) etc.
Le logiciel de la pyramide des besoins peut aussi influencer les politiques publiques, qui vont par exemple fixer les minimas sociaux à hauteur des besoins réputés primaires que sont la nourriture et l’habitat… Au risque d’une forme de moralité ambiante qui se fera juge du bon sens des personnes bénéficiant d’aides de l’Etat et qui emploieraient leurs revenus à répondre à d’autres besoins.
Les points faibles de la « pyramide des besoins »
Depuis sa sortie dans le magazine Psychological Revue, l’article de Maslow a été critiqué pour une série de raisons. Malgré son innovation au niveau théorique, l’outil semblait difficile d’être appliqué dans la pratique. Certains soulèvent également le manque de rigueur scientifique et de données prouvant ses thèses, l’absence d’informations sur la « démotivation » et aussi la faible importance attribuée aux différences culturelles. Sans compter un certain biais « élitiste » attribué à la pensée de Maslow : ses arguments placent les personnes ayant moins de pouvoir d’achat en bas de l’échelle et « limitées » dans leur quête de satisfaction, c’est-à-dire des individus qui ne chercheraient pas à obtenir « plus » parce qu’ils ne possèdent que très peu de choses… Il faudrait également regarder cet outil de plus près à l’heure des réseaux sociaux : peut-on considérer Internet un nouveau « besoin » ? Assurément, quand on constate que certaines démarches de base, comme accéder aux aides sociales ou trouver un logement passent pour l’essentiel par le web. Mais est-il possible, par exemple, d’atteindre un sentiment d’appartenance via les communautés numériques ? Et comment s’accomplir dans une nouvelle économie qui est encore loin de proposer l’égalité des chances, tant s’en faut.
Après Maslow…
Malgré ses limitations et ses critiques, la pyramide des besoins s’est érigée en tant qu’une théorie pertinente pour comprendre et pour analyser les sources de la motivation humaine. Elle a influencé de nombreux travaux, comme ceux d’Alderfer, psychologue qui s’est concentré sur les notions du « désir » et de la « satisfaction ». Pour ce chercheur, il s’agit surtout de regarder l’intensité d’un besoin (mesuré par le degré de satisfaction), peu importe sa « place » dans la hiérarchie. Il ne faut pas hésiter non plus à aller voir d’autres théories de la motivation, comme celle de Clark Hull, qui parle plutôt de l’incitation ou du « drive » : selon lui, notre corps se mobilise pour maintenir une certaine harmonie en réduisant les « besoins » biologiques – des états de faim ou de soif, par exemple – qui peuvent nuire à notre équilibre. On peut encore parler du Nudge, qui permet des évolutions comportementales manifestes en jouant sur les sentiments de fierté et d’appartenance. Comme toutes les thèses scientifiques, les travaux de Maslow contribuent à la réflexion et invitent à l’exercice de la pensée sans établir une vérité sur le monde : c’est à nous d’avoir la motivation nécessaire pour contribuer avec nos propres idées !
Marcos Fernandes avec Marie Donzel, pour le webmagazine EVE