Les neurosciences constituent un champ fascinant de recherches : depuis que l’imagerie cérébrale s’est largement développée, à partir des années 1990, nous en découvrons chaque jour davantage sur les mécanismes cognitifs qui sont à l’œuvre dans nos réactions et relations. Mais les travaux des neuroscientifiques sont parfois lus un peu « rapidement » par celles et ceux qui veulent leur donner des applications en management. Pour ne pas céder à la tentation scientiste, éviter de fâcheuses erreurs susceptibles de produire de gros dégâts et surtout préserver le caractère humain de l’art de manager, démêlons le vrai du faux – en l’état actuel des connaissances – sur ce qui se dit à l’appui des neurosciences.
Cerveau droit/cerveau gauche
Ce qu’on en perçoit : notre cerveau est composé de deux hémisphères : l’un serait le siège de la rationalité et de l’analyse, la seconde celui des émotions, de la communication et de la créativité. Et chacun·e d’entre nous aurait une partie dominante. Et cette affaire aurait même un genre : les femmes seraient — parait-il — plus disposée à verser du côté droit.
Ce qui est vrai : notre cerveau est bien constitué de deux hémisphères. Et ces deux hémisphères traitent des fonctions différentes : par exemple, le langage est le plus souvent traité par l’hémisphère gauche ; tandis que la perception des images l’est par l’hémisphère droit. Ces deux hémisphères sont en constante interaction, reliés l’un à l’autre par des fibres nerveuses.
Pourquoi il faut rester prudent·e en management : L’idée que certain·e·s d’entre nous seraient plus « cerveau gauche » et d’autres plus « cerveau droit » est sans véritable fondement. On peut bien sûr interroger les dominantes de la personnalité d’un individu ou d’un autre au travers de ses appétences, ses compétences, ses réactions, l’expression de sa propre perception de soi… Mais pas besoin de l’envoyer au scanner pour se donner raison !
La rhétorique cerveau droit/cerveau gauche est douteuse en management car elle tend à assigner des caractéristiques à tel ou tel individu, au risque de l’emprisonner dans une vision essentialiste et toutes sortes de stéréotypes, quitte à le priver de chances. Même si votre collaborateur ou votre collaboratrice a fait une IRM qui révèle un lobe cérébral surdéveloppé par rapport à l’autre, vous n’êtes pas son neurochirurgien, donc continuez à le traiter comme une personne singulière qui reste la première d’entre toutes à pouvoir parler d’elle-même !… Et qui garde la possibilité de changer, au cours de sa vie !
Les neurones de l’empathie
Ce qu’on en perçoit : les « neurones miroirs » sont parfois appelées « neurones de l’empathie ». Ils seraient à l’origine de notre capacité à comprendre le besoin d’un·e autre en l’observant, sans avoir besoin de vivre personnellement la même expérience qu’elle/lui.
Ce qui est vrai : on a observé, par imagerie médicale, que quand un individu observe un autre individu effectuer certaines tâches, des neurones dits « miroirs » déchargent au moment où il reproduit les mêmes gestes. Ce qui indique effectivement que voir quelque chose peut suffire à le comprendre et à le reproduire.
Pourquoi il faut rester prudent·e en management : Cette observation ne suffit pas à décréter que les neurones miroirs sont les neurones de l’empathie. L’empathie est un processus relationnel complexe et variable qui repose sur des mécanismes psycho-cognitifs, culturels et sociaux, entre autres éléments contextuels favorisant ou défavorisant la capacité à « se mettre à la place de l’autre ».
Faire reposer l’empathie sur les seuls neurones miroirs tend à la renvoyer à une affaire de « câblage du cerveau » susceptible d’amener à considérer une personne qui n’en fait pas suffisamment montre à une forme d’insuffisance. Or, la capacité des individus à développer et exprimer de l’empathie est aussi fonction de la qualité des relations, de la confiance qu’ils ont dans les autres et dans l’environnement.
Le système cœur-cerveau
Ce qu’on en perçoit : le cœur aussi a ses neurones… Et dans certaines situations, c’est lui qui dit au cerveau quoi faire, en communiquant par fréquences cardiaques ! CQFD : l’intelligence du cœur n’est pas qu’une formule pour dire qu’il faut savoir écouter ses sensations et suivre ses intuitions.
Ce qui est vrai : on a pu mettre en évidence, chez des patients dans l’incapacité de communiquer par la parole (ou par d’autres formes de langage) du fait d’affections neurologiques, que la fréquence cardiaque prenait le relais pour répondre à des stimuli. On attribue cette capacité du cœur à envoyer des signaux à son système nerveux indépendant riche de plus de 40 000 neurones.
Pourquoi il faut rester prudent·e en management : Nous sommes tou·te·s des êtres complets qui nous exprimons par la parole mais aussi au travers d’une multitude de manifestations non-verbales. Le problème du « non-verbal », c’est que les interprétations restent difficiles… Au risque d’être parfois abusives ! Autant il est pertinent d’inviter l’individu à écouter ses émotions, accueillir ses sensations, repérer ses réactions physiologiques ; autant il est problématique de penser pouvoir lire en lui comme dans un livre en s’en remettant à une peau qui rougit, un regard qui dévie, des mains qui s’agitent ou un cœur qui bat plus ou moins vite.
Le cerveau social
Ce qu’on en perçoit : avoir de bonnes relations avec son environnement rend plus performant et permet de vivre plus longtemps en bonne santé. Cela semble procéder du bon sens mais la science l’a démontré !
Ce qui est vrai : On a pu observer par imagerie médicale que certaines zones du cerveau ne s’activent que lorsque nous sommes en relation avec les autres. Par ailleurs, ont été constatées des lésions cérébrales chez des personnes qui ont subi un isolement prolongé en dépit de leur volonté (otages, personnes recluses…).
Pourquoi il faut rester prudent·e en management : Interagir nous est essentiel pour apprendre et développer des compétences, pour nourrir notre estime de soi et notre « intelligence relationnelle », pour être stimulé·e·s et tout simplement nous sentir vivant·e·s ! Mais attention à ne pas en faire un argument massue pour traquer les timides et bousculer les introverti·e·s, pour aller contre le besoin de solitude que certain·e·s ressentent plus que d’autres ou pour porter des jugements sur les personnes qui, par choix ou pas, ont une vie familiale et amicale plus intimiste que les champion·ne·s de la socialisation sur les réseaux sociaux et/ou dans la « vie réelle ». Attention aussi à ne pas verser dans le déterminisme : les personnes qui ont subi des traumatismes psychiques peuvent effectivement montrer des lésions à l’imagerie cérébrale, mais ça ne remet pas d’office en cause leurs capacités de résilience.
Marie Donzel, pour le webmagazine EVE