Jean-Edouard Grésy, speaker de la première heure à EVE, travaille depuis une vingtaine d’années sur le don. Après sa thèse d’anthropologie du droit, ses ouvrages en collaboration avec Alain Caillé, La révolution du don (Le Seuil, 2014) et Œil pour œil, don pour don (Desclée de Brouwer, 2018) et de nombreuses conférences sur la thématique des relations et de la coopération, il explore aujourd’hui son sujet de prédilection au travers d’un roman graphique co-signé avec le dessinateur Salvatore Porcaro : Donner, c’est recevoir — La mécanique du don (Glénat).
Oscar et Marco sont frères. Et se détestent. Le premier est un jeune cadre séduisant qui traverse courageusement l’épreuve d’une maladie rare en suivant de près les préconisations d’hygiène de vie de ses médecins. Le second est un marginal au tempérament bagarreur qu’alcool et drogues ne rendent que plus imprévisible.
Un matin, Marco frappe à la porte d’Oscar : susceptible d’être accusé d’un meurtre, il supplie son frère de lui fournir un alibi. Mais pas question pour Oscar de sauver la mise à celui qu’il ne considère plus comme son frère depuis des années. Bien qu’il clame son innocence, tout accable Marco et le voilà condamné à plusieurs années d’emprisonnement.
A sa sortie, l’état de santé d’Oscar s’est fortement dégradé… Et sans greffe d’un rein compatible, idéalement celui d’un membre de sa fratrie, Oscar ne pourra s’en sortir… Oscar n’a qu’un frère. Ce frère qu’il a rayé de sa vie. Ce frère avec lequel son entourage l’encourage à renouer. Ce frère dont le rein sain pourrait lui rendre de l’espérance de vie.
Mais, après tant d’années de haine et de rancœurs, de silence braqué et de violence rentrée, comment demander à ce frère de lui faire un tel don ? Et comment, du point de vue de Marco, envisager de faire ce don à celui qui l’a lâché au moment où il avait le plus besoin de son aide ? Comment, pour Oscar, imaginer vivre avec à l’intérieur de soi, une part de son frère honni et recevoir ce don autrement que comme un cadeau empoisonné ? Et si pour Marco, ce don n’était justement pas la vengeance ultime qui lui rende son frère à jamais redevable ? Car comment, Oscar pourrait-il un jour « rendre » à la hauteur du don que Marco lui ferait en lui sauvant la vie ?
Autant de questions traversent l’histoire sensible scénarisée par Grésy et mise en scène par Porcaro. Entre revisitation optimiste de la parabole d’Abel & Caïn et fable contemporaine sur la quête de liens dans un monde qui érige des murs de malentendus entre individus isolés, Donner c’est recevoir propose une réflexion tout en finesse sur la générosité et la solidarité, la réussite et le bonheur, la gratuité et l’échange, les ressentis et (res)sentiments, le pardon et la dignité, le soi et l’altérité… En un mot comme en cent sur le sens de l’existence.
Marie Donzel, pour le webmagazine EVE.