91% des entreprises ayant répondu à la dernière enquête de l’Observatoire de la Parentalité en Entreprise (soit plus de 230 grandes organisations) déclarent mettre en œuvre des politiques d’articulation des temps de vie.
50% de ces dispositifs relèvent de l’organisation du travail : horaires de réunion (pas avant 9 heures, pas après 18 heures), charge de travail raisonnable, mesures de droit à la déconnexion…
30% sont d’ordre managérial : instauration d’un moment dédié à la question de la conciliation des temps de vie lors de l’entretien d’évaluation, systématisation de l’accompagnement personnalisé au départ en congé maternité ainsi qu’au retour, process de prise en charge des situations familiales exceptionnelles…
Par ailleurs, 65% de ces entreprises proposent le télétravail quand il est compatible avec la fonction des employé·e·s. Et 45% disposent d’une crèche d’entreprise.
Le « premier étage » d’une politique d’égalité pro
Les mesures d’articulation des temps de vie sont réputées être le « premier étage » d’une politique d’égalité professionnelle. Outre un gain en qualité de vie pour tou·te·s, elles sont supposées permettre aux femmes (qui assurent encore plus des 2/3 du temps de travail domestique et familial et sont susceptibles d’être pénalisées dans leur progression de carrière par les maternités et contraintes de la parentalité) de faire « jeu égal » avec les hommes sur le terrain professionnel… En même temps qu’elles peuvent encourager les hommes à prendre davantage leur part dans la vie du foyer et l’éducation des enfants.
Dans la réalité, les effets sur l’égalité professionnelle des mesures d’articulation des temps de vie se révèlent assez modérés. Les hommes pères restent nettement moins nombreux que les femmes mères à recourir aux solutions offertes par l’employeur (télétravail, horaires flexibles…) ou proposées par les pouvoirs publics (temps partiel, congé parental…) pour articuler les temps de vie.
Quand les dispositifs d’articulation des temps de vie peuvent creuser les inégalités au lieu de les réduire
Et cela vire à l’effet pervers quand les mesures d’articulation des temps de vie vont jusqu’à contribuer à creuser les inégalités : un grand article de The Conversation synthétisant les récentes études sur la flexibilité du travail pointe que les employeurs tendent à considérer implicitement que les aménagements d’horaires ou le télétravail des femmes sont des facilités, voire des faveurs accordées aux femmes qui ont des problématiques de garde d’enfant quand ils perçoivent davantage l’usage que les hommes font de ces dispositifs comme du temps consacré à du travail demandant de la concentration.
Une étude suédoise complète cette mise en cause en révélant que le temps libéré (notamment temps de transport et temps de convivialité dans le quotidien professionnel) par les solutions d’articulation des temps de vie est employé par les femmes à effectuer davantage de tâches domestiques tandis que les hommes le consacrent plus volontiers soit à des loisirs soit à travailler pour leur employeur hors les murs de l’entreprise. Et de souligner que les attitudes des télétravailleuses et des télétravailleuses sont différentes quand il s’agit de faire valoir les bénéfices du flex-work auprès de leur manager : les premières tendent à remercier l’employeur et à se justifier d’avoir bel et bien bossé les jours où elles ont télétravaillé ; les seconds mettent plus souvent en avant les avantages pour l’entreprise de leur engagement en tout lieu et toute heure. Et cela se traduit dans les augmentations et primes : les femmes qui concilient les temps de vie, perçues comme courageuses mais moins engagées, reçoivent des rétributions complémentaires inférieures à celles des hommes dans le même cas, perçus comme agiles et innovants dans leurs pratiques professionnelles.
Conjuguer mesures d’articulation des temps de vie et lutte contre les schémas familiaux stéréotypés
Si l’on doit donc repositionner le débat sur l’efficacité des mesures d’articulation des temps de vie pour réduire les inégalités professionnelles, il faut donc assurément conjuguer étroitement les politiques de flexibilité avec le combat contre les stéréotypes et biais décisionnels. Sans ça, les vieux schémas attribuant aux femmes la fonction première de ménagère et aux hommes celle de « breadwinner » ne demandent qu’à se réinscrire dans de nouvelles formes d’organisation du travail.
Et si, par exemple, en même temps que, dans les entreprises, on met en place des quotas de femmes dans certaines fonctions, on fixait aussi des objectifs chiffrés de congés parentaux pris par les hommes ?… Avec toutes les actions d’incitation nécessaires pour atteindre ces objectifs : communication, valorisation de l’expérience extraprofessionnelle dans le parcours professionnel (pour les femmes aussi, évidemment), exemplarité du management…
Et si on abordait dans 100% des formations aux soft skills et autres compétences d’avenir la question de l’égalité face aux temps de vie ? Dans une formation à la négociation, on peut adresser le sujet du partage des tâches domestiques au même titre que le thème de la rémunération ou celui des relations acheteurs/fournisseurs. Dans un atelier sur l’assertivité, on peut échanger sur l’affirmation assumée du besoin des hommes (aussi) à une vie familiale au même titre que l’on forme à la force de conviction quand il s’agit de défendre des intérêts commerciaux. Dans un séminaire sur les risques et la sécurité, on peut faire valoir les effets positifs en termes de prévention des risques psychosociaux (surmenage, burn-out professionnel… Ou parental !) d’un équilibre équitable des temps et des responsabilités dans toutes les sphères de l’existence.
Et vous, quelles idées de bonnes pratiques auriez-vous à partager pour qu’articulation des temps de vie rime mieux avec égalité effective ?
Marie Donzel, pour le webmagazine EVE
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