La question des inégalités salariales est l’une des plus complexes à objectiver, entre « écarts expliqués » (par les variations genrées de choix d’orientation, de filières, métier ; de temps de travail – les femmes représentant une large majorité des salarié·e·s à temps partiel – ; de parcours professionnel…) et « écarts inexpliqués » (c’est-à-dire discriminatoires). Mais c’est en même temps un des combats de l’égalité professionnelle qui reçoit le plus de soutien de l’opinion publique.
La transparence salariale, accélérateur d’égalité ?
Malgré ce consensus pour mettre fin à cette inégalité bien comprise comme une injustice, difficile de construire des politiques d’égalité pertinentes quand les chiffres et leurs interprétations fluctuent de plusieurs points selon que l’on retient un indicateur ou l’autre.
Des pistes se dessinent, tout de même, notamment celle de la transparence salariale. Adoptée par le Danemark dès 2006, par l’Islande en 2018 et par l’Allemagne depuis janvier 2019, la mesure semble efficace si l’on en croit les résultats d’une étude conjointement menée par l’INSEAD, les Universités de Caroline du Nord, Cornell et Columbia : les écarts de rémunération baissent quand femmes et hommes savent combien exactement gagnent leurs collègues. En prime, dit cette étude, la transparence salariale a pour effet indirect une élévation du niveau de recrutement des femmes, en particulier à des postes à responsabilités.
Plus d’information = moins d’autocensure ?
Mais comment expliquer cet effet « transparence » sur la réduction des écarts de rémunération ? L’hypothèse ordinairement avancée est que, quand une femme se rend concrètement compte que son voisin de bureau gagne davantage, alors qu’elle l’estime ni plus ni moins compétent qu’elle, elle s’autocensure beaucoup moins dans la négociation de sa rémunération. Hé ho ! L’ami manager ou l’ami RH, tu m’expliques pourquoi mon collègue John gagne plus que la Jane que je suis alors qu’on bosse aussi bien l’un que l’autre ?
Cette hypothèse a été mise à mal par une étude de l’université du Wisconsin, de la Cass Business School de Londres et de l’université de Warwick publiée en octobre 2018 qui démontrait que même quand elles demandent des augmentations, les femmes ont 25% de chances en moins d’obtenir gain de cause. Les auteur·e·s de cette étude ont analysé les causes de cette inégalité des chances face à la négociation salariale. Et d’en conclure qu’il est plus « risqué » pour un employeur de refuser une augmentation à un homme qu’à une femme : celui dont on déçoit les aspirations aurait tendance à chercher immédiatement du boulot ailleurs ; tandis que celle qui n’obtient pas rémunération à ce qu’elle estime sa juste valeur prendrait patience et se trouverait d’autres motivations que la reconnaissance pécuniaire pour persister à s’engager.
Prêt·e à changer d’employeur si l’entreprise est inégalitaire ?
Alors, une question se pose de façon très « cash » : mesdames et messieurs, seriez-vous prête à plaquer votre boîte si vous vous rendiez compte qu’elle ne paie pas aussi bien les femmes que les hommes ? Le bureau d’étude ADP a voulu en avoir le cœur net et a interrogé plus de 10 000 salarié·e·s européen·ne·s sur leur niveau de tolérance aux inégalités salariales.
Résultat : 60% d’européen·ne·s, femmes et hommes confondu·e·s, se disent prêt·e·s à démissionner si leur entreprise ne respecte pas le principe « à travail de valeur égale, salaire égal » !
Variations selon la géographie, le genre et les générations…
Le niveau d’indignation face aux écarts salariaux varie d’un pays à l’autre : les Italien·ne·s et les Britanniques sont les plus remonté·e·s (respectivement 73% et 68% de potentiel·le·s démissionnaires) tandis que les Français·e·s s’avèrent les plus résigné·e·s (pour 46% prêt·e·s à chercher un job ailleurs si leur employeur ne garantit pas l’égalité salariale).
Par ailleurs, l’étude ADP révèle des écarts de sensibilité à l’égalité femmes/hommes selon les générations : partout en Europe, les moins de 34 ans sont les plus demandeurs de mesures fermes sur la question des écarts de rémunération, en même temps qu’ils se révèlent les plus susceptibles de bouder ou plaquer un employeur en raison d’un déficit de résultats en matière de lutte contre les discriminations.
On observe par ailleurs des variations en fonction du genre des sondé·e·s : partout, les femmes sont plus enclines que les hommes à quitter une entreprise inégalitaire. Un point intéressant à relever : l’écart d’acceptation des inégalités entre femmes et hommes est plus important dans les pays où les hommes sont faiblement engagés sur la question. Pour exemple, en France, là où les inégalités sont les mieux (ou les moins mal) acceptées, 18 points d’indice séparent femmes et hommes en matière de tolérance aux inégalités (55% des femmes prêtes à démissionner vs 37% d’hommes). Au Royaume-Uni ou en Espagne, la sensibilité aux inégalités de salaire est mieux partagée par les deux sexes, et c’est précisément là que la population active se déclare globalement la plus hostile aux discriminations visant les femmes. En d’autres termes, plus les hommes se sentent concernés par l’égalité de genre, plus les femmes le sont aussi… Et plus la population dans son ensemble adhère aux politiques d’égalité.
Marie Donzel, pour le webmagazine EVE