Après l’ikigai, voici le wabi-sabi ! Une autre approche venue du Soleil levant pour développer un rapport équilibré à soi-même et à son environnement. Mais c’est quoi exactement ? La rédaction du webmagazine EVE a enquêté.
Sobriété et acceptation
Le wabi-sabi arrive aujourd’hui en occident sous des apparences de méthode de développement personnel. Mais aux origines, il s’agit d’une philosophie qui interroge la nature de la beauté, en associant le « wabi » (qu’on pourrait traduire par quelque chose comme une sobriété empreinte d’intonations mélancoliques) au « sabi » (qui se rapporte aux effets du temps qui passe).
Le wabi-sabi, c’est en quelque sorte un regard simple sur le réel, qui passe par l’acceptation que rien n’est immuable et que les transformations font partie de l’essence des choses.
Une philosophie esthétique héritée du zen
On fait remonter les origines du wabi-sabi à Murata Jukō, moine zen du XVè siècle qui réforme littéralement la cérémonie jusque-là fastueuse du thé pour en faire un moment de tranquillité, trouvant tout son raffinement dans la frugalité qu’incarne notamment l’emploi d’ustensiles artisanaux de facture simple… A l’opposé des services ornementés et volontiers ostentatoires que la bonne société de son époque prisait.
Le wabi-sabi s’installe au cours du temps en art de vivre. Il se décline dans les arts, l’aménagement des espaces intérieurs, le style et les postures …
Une autre lecture du « miracle japonais »
C’est l’artiste américain Leonard Koren, créateur de WET magazine, revue hédoniste s’annonçant comme dédiée à l’art du « bain gourmet » et traitant de tous sujets en lien avec les plaisirs de la vie, qui introduit le wabi-sabi en occident à partir des années 1980. Multipliant les allers-retours San Francisco-Tokyo, il s’engage dans un travail d’anthropologie des arts des vivre et publie en 1988 l’ouvrage 283 useful ideas from Japan, sorte d’anti-manuel d’économie et de société à destination d’une Amérique qui envie la réussite éclatante du « miracle japonais » mais n’en lit les moteurs qu’à la lueur de ses propres systèmes d’organisation et autres critères de performance. Si le Japon se développe à vitesse grand V et rayonne, c’est selon Koren, à des fondations culturelles profondément ancrées qu’il faut l’attribuer davantage qu’à des modèles d’industrialisation voués comme tout autre à connaître un jour ou l’autre leurs limites…
Une métaphysique de la complétude
Mais quelles sont ces robustes fondations culturelles qui survivraient à tous les changements de paradigmes économiques et sociaux ? Une métaphysique de la complétude, résume Koren : comme une spiritualité traversée de sérénité, quêtant la simplicité, accueillant l’imperfection et recevant les transformations comme de simples remodelages qui font partie du parcours de vie des êtres et des choses.
Dans l’esprit wabi-sabi, on n’est pas dans l’erreur en produisant de l’imperfection, on ne se dégrade pas en vieillissant, on ne perd pas de son intégrité en s’abimant : on est et reste vivant, marqué par l’inéluctable passage du temps et transformé par les accidents, les fêlures, les mutations…
Le wabi-sabi transposé au développement personnel
A une époque où l’on recherche le lâcher-prise, les voies de la résilience, celles de l’acceptation de soi et du monde qui nous entoure, celles du « droit à l’erreur » et toutes sortes de clés pour s’approprier les transformations à l’œuvre, le wabi-sabi séduit. Sa transposition aux techniques de développement personnel invite pour commencer à se défaire du perfectionnisme et à gagner en humilité. Dans sa vie privée (où il n’est pas forcément indispensable d’avoir une maison agencée et ordonnée comme un appartement d’exposition et indiscutablement épuisant de vouloir toujours chercher à faire mieux… hum… hum… On vous en a déjà touché un mot avec le complexe de superwoman !) comme au boulot (où l’objectif est précisément fixé pour être atteint, pas systématiquement dépassé !).
Retour à l’essentiel ! On écoute et on satisfait ses besoins véritables, en se débarrassant de tout ce qui oblige et enjoint sans raison valable. A commencer par le regard des autres, ou plutôt l’idée que l’on se fait du regard des autres. Et tant qu’on y est, on renonce à présumer de leurs intentions et attentes, pour laisser place à l’expression explicite de leurs besoins.
L’esprit wabi-sabi encourage aussi à la bienveillance. Vis-à-vis de soi (la personne qui est en face du miroir n’est pas si mal, en fait, si on lui accorde un regard sympathique) comme vis-à-vis des autres (qui sont ce qu’ils sont, avec des traits de personnalité singuliers, davantage qu’ils ne sont réductibles à une liste de qualités et défauts).
Enfin, on s’autorise l’émerveillement simple. Pas forcément l’enthousiasme débordant, qui peut parfois être très énergivore pour soi et envahissant pour autrui, mais seulement le plaisir de regarder le réel avec un œil sentimental et d’accueillir les émotions que cela suscite en soi : l’élan de tendresse à l’égard d’une attitude touchante, la douce nostalgie à l’écoute d’une chanson de son enfance, la joie d’une bonne nouvelle, la sensation d’apaisement procuré par un cadre rassurant…
Marie Donzel, pour le webmagazine EVE