Quelles sont les 5 actualités qu’il ne fallait pas manquer ce mois-ci sur les fronts de l’égalité, de la mixité et du leadership équilibré ?
Le hashtag du mois : #KuToo, le hashtag des Japonaises qui se rebellent contre le port des talons hauts pour les femmes
#KuToo, savant jeu de mots entre les termes japonais kutsu (chaussures) et kutsuu (douleur) qui se fait aussi le clin d’œil du mouvement #MeToo, a été lancé sur les réseaux par Yumi Ishikawa, une actrice, autrice et mannequin nippone pour dénoncer l’injonction des talons hauts dans le monde professionnel, avant de connaître un retentissement viral. C’est que le phénomène semble universel : en 2017 déjà, la Britannique Nicola Thorp avait été licenciée car elle refusait de porter des talons hauts de plus de 5 cm. Grâce à une pétition l’affaire avait fait le buzz, jusqu’à interpeler le Parlement britannique qui avait alors ouvert une enquête. Il existe pourtant dans de nombreux pays des lois anti-discriminations stipulant bien ce principe d’équité de traitement des salarié·e·s, qui impliquent que les règlementations qui leur sont destinées ne doivent pas être moins favorables envers un genre qu’à l’autre. Mais les codes vestimentaires, et les discriminations qu’ils engendrent, restent malgré tout une réalité dans de nombreux environnements professionnels. Or, le « capital érotique » (ou potentiel de séduction), qui a valeur réelle sur le marché du travail, n’est pas sans poser quelques problèmes. Déjà, il a ce stéréotype selon lequel la beauté d’une femme nuirait à la crédibilité de son intelligence. Puis, toutes les incidences à se percher quotidiennement sur de fines aiguilles, qui vont de l’inconfort à de graves problèmes de santé : perte d’équilibre, fatigue musculaire, lordose lombaire, antéversion du bassin, déformations de l’avant-pied… Des centimètres gagnés chèrement payés par les salariées !
Le prix du mois : Karen Uhlenbeck décroche le prix Abel de mathématiques
Le webmagazine EVE s’était réjoui en 2014 lorsque l’Iranienne Maryam Mirzakhani, autrice du « théorème de la décennie », était la première matheuse récompensée de la prestigieuse Médaille Fields. Ce mois-ci, c’est au tour de l’Académie norvégienne des sciences et des lettres de reconnaître enfin les talents scientifiques féminins, en décernant le Prix Abel à une femme. Et quelle femme ! À 76 ans, la chercheuse américaine (toujours en activité !) Karen Uhlenbeck, spécialiste des équations aux dérivées partielles, n’est pas seulement une tête mais aussi une figure de proue engagée pour l’égalité des sexes : elle a notamment fondé en 1994 un programme pour les femmes et les mathématiques dans l’université Princeton. Cette reconnaissance des contributions scientifiques des femmes est plus que jamais cruciale à l’heure où les résultats d’une étude dirigée par Emilia Huerta-Sánchez de l’université Brown et Rori Rohlf de l’université d’état de San Francisco rend compte, après avoir épluché vingt ans de remerciements parus dans des articles sur la génétique, de l’ampleur de la négligence dont font l’objet les chercheuses, souvent reléguées en simples notes de bas de page de l’Histoire scientifique… Qu’elles ont pourtant largement contribué à écrire !
Le fail du mois : la NASA annule la première sortie 100% féminine dans l’espace, faute d’uniformes adaptés
Le 8 mars dernier, Jim Bridenstine, l’administrateur de la NASA, déclarait avec fierté les ambitions de mixité de l’agence gouvernementale américaine : une première sortie spatiale 100% féminine à la fin du mois, la prochaine personne à fouler la Lune sera probablement une femme (ce qui n’est encore jamais arrivé) et, pourquoi pas, une astronaute aussi pour fouler inaugurer la planète rouge ! Mais la date du 26 mars sonne le glas de l’enthousiasme : faute de tenues adaptées, l’opération de maintenance qui devait être assurée par Anne McClain et Christina Koch est annulée. En effet, il n’existe qu’une combinaison taille M, et l’astronaute Anne McClain doit céder sa place à son collègue Nick Hague. La question de l’adaptation des uniformes à la morphologie féminine n’est pas anecdotique en matière d’inégalités professionnelles. De fait, c’est une problématique fréquemment rencontrée dans les secteurs professionnels encore peu féminisés qui peut, au-delà des aspects esthétiques, constituer un réel frein en matière d’accès aux emplois lorsque par exemple les chaussures de sécurité ne sont pas disponibles en taille 38. C’est aussi une question de confort : avoir des pantalons correctement coupés, c’est s’assurer que ces derniers ne vont pas tomber quand on se baisse. Les organisations publiques et privées commencent à se mobiliser pour changer la donne : ce mois-ci a par exemple vu inaugurer la nouvelle tenue de service et d’intervention (TSI) des sapeuse-pompières. SNCF n’a pas attendu le 8 mars 2019 pour passer à l’action : le groupe ferroviaire s’est penché sur le sujet il y a plusieurs années et offre depuis fin 2017 à ses collaboratrices le même niveau de gammes et d’articles que les hommes !
L’initiative du mois : un tarif réduit pour les femmes dans les transports en commun de Berlin
En janvier 2019 déjà, l’Allemagne s’était fait remarquer pour son engagement en matière de lutte contre les inégalités F-H avec la loi EntTranspG de transparence sur les salaires et l’annonce de la ville de Berlin de faire du 8 mars, journée internationale des droits des femmes, un jour férié. Le 18 mars, Berlin fait de nouveau du bruit en lançant une opération de sensibilisation de grande ampleur : les femmes désireuses d’emprunter les transports en commun ont en effet fait l’objet de tarifs préférentiels sur le ticket jour, 21% moins cher que les hommes. 21% : c’est précisément l’écart moyen de salaire entre les femmes et les hommes en Allemagne. Cette initiative renvoie à la journée de l’égalité salariale, ou equal pay day, qui est organisée depuis 1988 par le réseau international Business & Professional Women (BPW) et qui varie d’un pays à l’autre selon les écarts salariaux constatés. Le jour jusqu’auquel les femmes doivent travailler pour obtenir un salaire égal à celui des hommes pour 2019 correspond au 25 mars 2019 en France (équivalent à 60 jours de travail additionnels) et au 2 avril aux États-Unis.
L’innovation du mois : à la rencontre de Q, la première voix artificielle non genrée
Pourquoi les voix de nos GPS sont-elles plus souvent féminines et celles des applications bancaires plus souvent masculines ? Face à ce constat de perpétuation des stéréotypes selon lequel les rôles de services seraient pour les femmes et l’autorité serait réservée aux hommes, le collectif danois Equal AI (qui milite pour l’égalité en matière d’intelligence artificielle) a présenté le 11 mars 2019 lors d’un festival technologique au Texas sa dernière innovation en partenariat avec l’agence créative Virtue et la Copenhague Pride. Q, c’est son petit nom, est la première voix artificielle non genrée. « Pensez à moi comme Siri ou Alexa, mais ni homme ni femme », dit Q dans une vidéo d’introduction. « Je suis créée pour un futur dans lequel nous ne serions pas définis par notre genre ». Quand les innovations technologiques s’attaquent aux biais de genre, cela peut aussi donner un traducteur en ligne à même de supprimer les termes sexistes. C’est en effet le nouveau plug-in proposé depuis le 8 mars dernier par le service de traduction ElaN : en cliquant sur le « unbias button », le caméraman se transforme en « camera operator » et le « business man » en « business person ». Flora Vincent et Aude Bernheim, les autrices du livre « L’intelligence artificielle, pas sans elles » paru le 6 mars 2019 aux éditions Belin, militent pour donner à comprendre toute la subjectivité de nos systèmes technologiques et l’importance de porter une vigilance à ces biais. Car avec l’IA, explique Flora Vincent, « On ne parle pas d’un médicament qui sera utilisé par un petit nombre de patients, mais d’une technologie qui va inonder la terre entière. Avec l’IA, n’importe quelle inégalité sera propagée à très grande échelle, dans le temps et dans l’espace »;
Valentine Poisson, pour le webmagazine EVE