Entretien avec Margaret Johnston-Clarke, Directrice Internationale Diversité & Inclusion du Groupe L’Oréal.
Bonjour Margaret, pouvez-vous retracer votre parcours pour les lecteurs et lectrices du webmagazine EVE ?
Je suis franco-américaine, issue d’une famille très engagée dans la vie politique et culturelle. Mon père faisait de la politique et ma mère était très active dans le mouvement de libération des femmes à New York dans les années 1960-70. Il a toujours été une évidence pour moi qu’il faut s’engager pour contribuer à changer le monde.
Je suis arrivée en France quand j’avais 7 ans, j’y ai suivi ma scolarité jusqu’au bac puis suis repartie aux Etats-Unis pour étudier les lettres à Yale. De retour en France, j’ai complété mon cursus au CELSA.
Au tout début de ma vie professionnelle, je suis passée par la Fondation Agir Contre l’Exclusion (FACE) où j’ai mené plusieurs projets dont la prévention auprès de la petite enfance et des pré-adolescent·e·s. Puis, je suis entrée chez L’Oréal en 2000 pour m’occuper d’abord des RP de Lancôme International puis de communication corporate. J’ai ensuite travaillé 5 ans dans un autre groupe de luxe. En 2012, je suis revenue chez L’Oréal et au sein de sa Fondation pour diriger le Programme Pour les Femmes et la Science en partenariat avec l’UNESCO. Un rêve ! Pendant trois années, j’ai pu y mener des projets passionnants, dont le lancement du Programme Pour les Filles et la Science qui prend à la racine la question des vocations féminines dans les sciences et technologies. Ensuite de quoi, je suis retournée côté business, pour la marque Garnier. Et puis, en 2017, Jean-Claude Le Grand m’a proposé de rejoindre l’équipe diversité où je m’épanouis pleinement, en conscience de la chance que j’ai de travailler dans un champ stratégique pour mon entreprise à une époque de grands changements sociétaux.
Quelle est votre vision de la diversité ?
L’avenir, c’est l’inclusion. Pour l’instant, la notion de « diversité » reste plus parlante dans le langage courant, mais à terme, il faudra oublier ce terme de diversité, qui segmente les populations selon des critères figés, ce qui finalement ne combat pas la stigmatisation, voire contribue à l’entretenir… De plus, les critères de diversité n’ont pas le même sens, ni la même portée selon les différentes régions. Le handicap, par exemple, on sait aujourd’hui que c’est tout un spectre dont la majorité des situations sont invisibles. Mais on sait aussi que les situations de handicap ne représentent pas la même réalité pour les personnes selon le contexte économique et socio-culturel dans lequel elles évoluent. Il faut aussi prendre en compte l’intersectionnalité, quand plusieurs critères se rencontrent et produisent des effets plus que cumulatifs sur la condition de l’individu. L’approche par l’inclusion est dynamique : elle permet d’interroger tout le collectif sur sa capacité à faire participer chacun·e.
Vous avez organisé fin 2018 une semaine internationale dédiée à la diversité et l’inclusion. Pourquoi et comment ?
Dans chacune des filiales de L’Oréal, il y a au moins un·e correspondant·e diversité. En France, c’est une personne à temps plein ; aux Etats-Unis, c’est une équipe complète mais dans 90% des cas, il s’agit de personnes qui font ça en plus de leur travail. L’enjeu de la semaine de la diversité et de l’inclusion est de les former en facilitateurs, notamment pour animer des ateliers diversité aujourd’hui obligatoires pour tout·e collaborateur/collaboratrice de L’Oréal.
Nous avons consacré deux journées à ces ateliers. Ensuite, nous avons eu deux journées pour partager la vision et faire des retours d’expérience. La dernière journée a été celle du 10è Trophée Handicap, en présence de Jean-Paul Agon. Ce trophée récompense des projets exemplaires pour améliorer l’inclusion des personnes en situation de handicap parmi les 65 proposés par toutes les filiales de par le monde. On peut citer parmi les initiatives primées, celle du Portugal (un système de tutoriels pour personnes malvoyantes et malentendantes sur le site internet de la marque L’Oréal Paris), de la Colombie (où les employés de l’usine ont été formé·e·s à la langue des signes), la France (où une campagne visuelle a été diffusée avec des collaborateurs/collaboratrices qui parlent de leur handicap à la première personne).
Quels sont les grands sujets à votre agenda pour accélérer encore l’inclusion chez L’Oréal dans les années qui viennent ?
Deux grands axes : aller plus loin sur des thématiques que nous traitons déjà et nous positionner sur des problématiques émergentes.
En matière de genre : nous avons de longue date une politique égalité professionnelle, qui a fait ses preuves, aussi bien du côté de la mixité des instances dirigeantes que de la réduction à néant des inégalités salariales. J’ai voulu que l’on renforce la partie lutte contre le sexisme ordinaire. Cela se matérialise par l’initiative « StopE » conduite avec une trentaine d’entreprises qui prennent 8 engagements pour faire reculer enfin les agissements sexistes du quotidien et prévenir le harcèlement au travail. Nous voulons aussi nous engager sur la question des violences faites aux femmes dans la sphère privée. L’entreprise ne peut plus faire comme si cela ne la concernait pas. Nous allons lancer, dans le cadre d’un programme international avec Kering, Korian et FACE, une grande étude pour mesurer l’impact des violences domestiques dans le monde du travail.
Nous voulons aussi renforcer notre politique LGBT. Pour cela, nous avons signé un accord avec l’ONU qui rassemble un collectif d’entreprises mobilisées. Il s’agit de lutter contre l’homophobie ordinaire sur le lieu de travail, pour commencer. Il nous faut aussi travailler sur les droits parentaux : par exemple, nous avons étendu en France notre congé paternité à 6 semaines. D’ailleurs, quand on y réfléchit, quelle que soit la situation familiale, tout parent est principal !
Propos recueillis par Marie Donzel, pour le webmagazine EVE