L’égalité pro, ça se joue au boulot avec toutes les mesures prises par les entreprises pour garantir l’équité salariale, lutter contre le plafond de verre et accompagner l’articulation des temps de vie… Mais ça se joue aussi dans la vie privée, car chacun·e a besoin de dégager du temps et de la disponibilité d’esprit pour construire et développer son projet professionnel. Le sujet reste néanmoins sensible dans les couples, quand il n’est pas carrément motif à de formidables eng***lades ! Et si vous appliquiez les méthodes de négociation pour atteindre un partage satisfaisant des responsabilités familiales et domestiques ?
Le don, ce ciment de la relation
Julie rentre chez elle après une formation de trois jours sur la négociation. Son mari, Éric, la salue et lui demande : « comme tu as encore tes chaussures aux pieds, est-ce tu peux descendre les poubelles ? ».
Forte de son apprentissage, et notamment de la règle d’or « pas de concession sans contrepartie », elle lui répond : « d’accord, mais ce soir c’est toi qui t’occuperas du repassage … ». Le visage d’Éric se décompose : « Ça fait 3 jours que je fais tout à la maison, et toi tu débarques comme une fleur pour poser tes conditions sur un petit service que je te demande ? Tu ne manques pas d’air !!! ».
Dans un monde idéal, la relation d’un couple est fondée sur le don. Le don ? Allons bon ! Le don, tel que théorisé par Marcel Mauss, le « père de l’anthropologie française », c’est l’essence même du lien social et de nos relations aux autres. C’est en somme cette dimension qui fait que l’on a tout simplement envie de faire les choses avec autrui. Le don est inconditionnel et ne se quantifie pas explicitement, d’où l’idée de ne pas faire apparaître le prix sur les cadeaux que l’on fait à son aimé·e. On comprend un peu mieux le couac que vient de vivre notre petit couple fatigué.
Pourquoi « négocier » ?
Quand la mécanique du don est bien huilée dans un couple (généralement à ses débuts), les dons et les contre-dons s’enchaînent avec tellement d’enthousiasme et de plaisir intrinsèque que l’on ne se pose pas la question de savoir qui en fait le plus. Avec le temps qui passe, on se met à compter un peu plus : « je passe X heures par jour à m’occuper des enfants et de la maison, tandis qu’elle/lui fait si peu ! ».
Plutôt que de tenir un tableau de comptabilité, la meilleure solution consiste… à négocier ! La négociation suscite un certain nombre d’idées fausses. Négocier ce n’est pas marchander, ce n’est pas s’imposer par un rapport de force, ce n’est pas manipuler… À tout cela, évidemment que personne n’y aspire, moins encore dans sa vie intime qu’en tout autre espace de son existence. Négocier, c’est tout simplement « rechercher une décision conjointe en vue de préciser les conditions d’un échange ou de surmonter un désaccord » disent Jean-Édouard Grésy, Ricardo Pérez-Nückel (ndlr : intervenants à EVE) et Julien Ohana, auteurs de Comment les négociateurs réussissent.
De la volonté de convaincre à la volonté de comprendre
Comment intégrer l’autre dans son équation pour aboutir à une solution mutuellement satisfaisante ? Un des facteurs clés de succès des meilleur·e·s négociateurs/trices repose sur ce basculement absolument essentiel entre la volonté de convaincre et la volonté de comprendre : la compréhension est bien plus efficace que la persuasion !
Et si, plutôt que de convaincre Éric que ce serait bien qu’il passe un peu plus souvent l’aspirateur, (sans qu’on ait besoin de lui demander), on essayait de comprendre en quoi le fait que la tâche incombe systématiquement à Julia est une source de charge mentale pour elle, et que cet état de fait est à terme susceptible de remettre en question la pérennité de leur couple ?
La première chose à savoir pour passer maître ès-négociation, c’est de comprendre qu’il s’agit avant tout d’un état d’esprit, et que pour amener l’autre à évoluer, c’est avec soi-même qu’il faut commencer par négocier !
Négocier avec soi-même
Un obstacle majeur à une relation pacifiée repose, comme nous l’apprend Catherine Aimelet-Périssol et Pierre Massot, sur l’endossement de sa douleur. Concrètement, cela revient à faire porter au monde entier la responsabilité de sa souffrance : « s’il/elle en faisait un peu plus à la maison, tout irait tout de suite mieux ! ».
D’où l’intérêt de se poser la question : « Que se passe-t-il en moi ? », lorsqu’après une fastidieuse double journée de boulot et de tâches domestiques, ma moitié rentre à la maison pour mettre les pieds sous la table ? Suis-je agacé·e, enervé·e, décu·e, jaloux·se, exaspéré·e ? Cela nous permet dans un premier temps d’identifier notre état émotionnel, pour ensuite questionner en quoi on se sent lésé·e : en effet, une émotion négative est toujours liée à un enjeu personnel qui n’est pas satisfait.
Et on se demande si le besoin sous-jacent est absolument nécessaire à satisfaire, ou si l’on peut se permettre un peu de lâcher prise. En d’autres termes, plutôt que de reprocher à sa moitié de ne pas en faire assez, se poser la question de ce que l’on fait peut-être en trop : est-ce que c’est vraiment indispensable de repasser les draps ? De nettoyer immédiatement le carreau pour effacer cette trace de doigt ?
Négocier avec sa moitié
Une fois que l’on a identifié son besoin (à distinguer de son désir !), on va vers l’autre, en évitant soigneusement de le culpabiliser, de l’attaquer, de résoudre ou de dédramatiser la situation. On lui exprime son ressenti avec des « messages JE » (plutôt que les « TU qui tuent », type « tu ne ranges jamais le lave-vaisselle ! ») pour lui notifier l’impact qu’il a provoqué sur nous, sans agressivité.
Puis on accueille le ressenti de sa/son conjoint·e en faisant preuve d’empathie pour l’aider à trouver son équilibre émotionnel. Pour cela, on peut utiliser le questionnement et la reformulation. Par exemple : « Comment as-tu vécu la situation à la maison quand moi, j’étais en séminaire de formation ? »
Une fois cette phase d’équilibrage émotionnel franchie, on peut enfin « rentrer dans le vif du sujet » pour réfléchir aux solutions concrètes à même de conjuguer la satisfaction de ses enjeux avec ceux de sa/son partenaire. Cela revient à se questionner ensemble sur le « pourquoi », les raisons latentes dissimulées derrières ses désirs, pour débloquer avec un peu de créativité des pistes de solutions adaptées à la réalité de la situation.
Après le « pourquoi » est-ce important de fonctionner autrement, on peut s’atteler aux « comment » allons-nous nous y prendre ? Julia et Éric peuvent par exemple décider que c’est OK pour Julia que le sol ne soit lavé qu’une fois par semaine au lieu de deux passages de serpillère hebdomadaires, et que c’est OK pour Éric qu’une semaine sur deux, ce soit à lui de faire briller le parquet !
En peu de choses, plutôt que d’attendre que l’autre change ou de vouloir faire changer l’autre, le secret de la négociation consiste plutôt à assainir la communication pour renforcer la coopération dans son couple. Une fois que l’on arrive à se comprendre (vraiment), les solutions viennent naturellement !s
Valentine Poisson, avec Marie Donzel, pour le webmagazine EVE