On répète volontiers que « les femmes attendent d’avoir 120% des compétences pour postuler tandis que les hommes se contentent de 50% ». Une assertion qui a souffert jusqu’ici d’un certain déficit de sources scientifiques… Mais voilà qu’une étude de l’Université de l’Arizona, publiée en avril 2018 dans la revue Advances in Physiology Education, apporte des éléments d’objectivation de l’écart femmes/hommes de confiance des individus en leurs propres capacités.
Un plus fort sentiment de supériorité chez les hommes les plus performants
Les chercheuses Katelyn Cooper, Anna Krieg et Sara Brownell ont effectué une série de consultations auprès d’un effectif mixte d’étudiant·e·s en biologie — discipline réputée la plus accueillante pour les deux genres (maths et physiques attirant une trop large majorité d’hommes et inversement pour les humanités). Elles ont fait faire à tout·e·s une même batterie de tests de compréhension. Elles ont ensuite sélectionné le panel des étudiant·e·s ayant obtenu la même (très bonne) note moyenne pour interroger chaque individu sur sa propre perception de ses capacités intellectuelles.
Le résultat est sans appel : parmi les meilleur·e·s du groupe, les hommes sont 66% à s’estimer plus intelligents que le reste de la classe tandis que les femmes sont 54% à porter cette même appréciation comparative sur elles-mêmes.
Une corrélation entre discrimination et déficit d’auto-appréciation de ses capacités
Les femmes seraient-elles plus modestes, voire moins confiantes en leur intelligence, que les hommes ? Pour en avoir le cœur net, les chercheuses ont comparé les résultats des femmes à ceux d’autres individus portant un marqueur de « diversité ». Bingo ! Les étudiant·e·s LGBTQI et les étudiant·e·s issu·e·s de « minorités ethno-raciales » témoignent d’une même sous-estimation de leur capacité à surperformer que les hommes hétérosexuels blancs. En d’autres termes, appartenir à un groupe susceptible d’être discriminé encourage à se sous-estimer.
Une influence insidieuse de l’appréciation de ses capacités sur le destin socio-professionnel
Plus qu’un simple mécanisme d’autocensure ou un classique complexe d’imposture, la sous-considération par un individu de sa valeur intellectuelle influencerait insidieusement ses choix d’orientation vers des filières et métiers moins exigeants. Sans même que la réflexion « je ne me sens pas à la hauteur » affleure à l’esprit.
Car c’est en pensant avoir une idée juste de ses capacités qu’un individu procède à ses choix de secteur, de métier, de fonction… Alors même que les écarts révélés par l’étude de Cooper, Krieg & Brownell montrent bien que la perception de ses propres capacités par un individu ne s’appuie que partiellement sur des critères « objectifs » (tels que la note à un examen).
Les auteures de l’étude signalent de nombreux autres travaux universitaires mettant en évidence les effets délétères sur le destin socio-professionnel de l’intériorisation d’une valeur moindre : ambitions plus basses, horizon des possibles plus étroit, faible assertivité dans la défense de ses intérêts, tendance à éviter conflits et négociations… Autant de caractéristiques que l’on rassemble volontiers sous le diagnostic ordinaire de « manque de confiance en soi ».
« Perception de soi », « estime de soi », « confiance en soi » ou « esprit compétitif » ?
Attention toutefois à ne pas confondre « perception de soi » et « confiance en soi ». La perception de soi, proche de la notion d’estime de soi, c’est l’auto-évaluation de ses qualités, de son potentiel et partant, de son destin mérité. La confiance en soi se mesure à travers la mobilisation des efforts, de l’énergie et de l’audace pour réaliser les objectifs que l’on estime atteignables. Les résultats de travaux de Cooper, Krieg & Brownell semble plutôt indiquer une plus humble perception de soi qu’un déficit de confiance en soi chez les femmes.Attention aussi à ne pas confondre « perception de sa valeur » et « esprit compétitif ». C’est en effet là l’un des biais de l’étude de l’Université de l’Arizona qui conclue à une moindre estimation de leur valeur par les femmes au motif qu’elles sont moins nombreuses que les hommes à se sentir supérieures au reste du groupe quand elles obtiennent un excellent résultat à une évaluation. Or, ne pas se sentir supérieur.e aux autres, ce n’est pas la même chose que de ne pas se sentir suffisamment capable !
Et si ce que différenciait les femmes des hommes, c’était une divergence d’interprétation des objectifs d’une évaluation ? Pour elles, ce serait une occasion de vérifier leur performance via un tiers objectivant ; pour eux, ce serait plutôt une opportunité de se positionner par rapport aux pairs sur la base de critères légitimants.
Sans verser dans des considérations essentialistes, il convient alors d’instruire ce différentiel genré d’appréhension de l’exercice d’évaluation : à quoi pourrait tenir que les femmes l’abordent moins comme une compétition que les hommes semblent le concevoir ?
Une question de confiance en ses capacités ou une question de confiance dans le chiffrage de la performance?
Et si ce que révélait en creux l’étude de Cooper, Krieg & Brownell, c’était une différence femmes/hommes dans le rapport au chiffrage de la performance ? En concluant qu’une bonne note à examen signifie une supériorité de leur intelligence, les 66% de répondants masculins et les 54% de répondantes féminines investissent l’exercice d’évaluation d’un fort pouvoir de dire la vérité sur la valeur. L’intention du procédé d’évaluation est d’ailleurs bien celle-ci : objectiver la valeur à partir de critères.
Mais quels critères ? Comment garantir que ceux qui sont retenus pour noter l’exercice sont bien ceux qui composent la valeur ? Dans le cas précis de l’intelligence, il paraît évident (en tout cas, pour les répondant.e.s qui ne conçoivent pas de sentiment de supériorité après avoir obtenu une bonne note) qu’un test de compréhension et de connaissance ne suffit pas à distinguer les intelligent.e.s ! Les grands débats sur la fiabilité des tests de QI attestent de la difficulté à chiffrer quelque chose d’aussi complexe que l’intelligence.
Mais au-delà du cas spécifique de l’évaluation de la performance intellectuelle, peut-on se fier aveuglément à n’importe quel indicateur chiffré de valeur ? C’est toujours le fruit d’une vision de ce qui compose la valeur et d’une sélection de critères pour l’objectiver. Et cela, ce sont des humain.e.s qui en décident, depuis une certaine position sociale et dans un contexte donné.
Souvent, ce sont les mêmes personnes qui ont obtenu les meilleurs résultats aux tests d’évaluation de leur performance. En d’autres termes, plus on est valorisé par les critères de performance, plus on croit en la valeur de ces critères et plus on entretient un système de valeurs qui leur accorde du pouvoir. Une tautologie qui n’est pas sans faire courir le risque que l’intelligence collective, quand le collectif est un entre-soi insuffisamment inclusif, vire à l’inconscience collective… Voire à la bêtise collective ! Pour en sortir, il n’est d’autres solutions que d’intégrer dans le process d’élaboration des critères de demain celles et ceux que les critères en place aujourd’hui n’ont pas valorisé.
Marie Donzel, pour le webmagazine EVE