Articulation des temps de vie : quelles bonnes pratiques ?

Eve, Le Blog Dernières contributions, Responsabilité Sociale

Bien que longtemps considéré comme une « affaire de femmes » (de la manager-ménagère à double journée à la question de la charge mentale), la conciliation vie pro/vie perso s’adresse aujourd’hui à tou·te·s. Les reconfigurations des modèles familiaux ont de fait impliqué les pères… Mais le sujet dépasse même le champ de la parentalité au travail  : selon une étude réalisée par le groupe Mazars et Women’Up auprès de 1011 Yers issus de 64 nationalités différentes, les jeunes générations hissent cette saine articulation de leurs temps au rang de principal objectif de vie.

La responsabilité de cette conciliation vie pro/vie perso n’est pas qu’une question d’organisation individuelle ! C’est aussi le rôle des États, par le biais de dispositifs légaux, et des entreprises, via des politiques internes, de la faciliter. L’intérêt des organisations est bien compris : un·e salarié·e équilibré·e témoigne d’une meilleure productivité et d’un engagement plus fort et plus durable.

Tour d’horizon des pratiques permettant une meilleure articulation des temps de vie.

À l’échelle étatique : des politiques familiales au nouveau contrat social du travail

 

L’approche légale de la conciliation des temps de vie se concentre sur deux aspects :

  • Les politiques familiales et de l’enfance. L’Allemagne, par exemple, propose des incitations financières pour que les deux conjoints travaillent à temps partiel après une naissance. La France propose un compte épargne-temps pour aménager ses congés. Le gouvernement suédois a développé une application mobile pour soumettre une demande de congé parental de courte durée en cas d’enfant malade.
  • Face aux attentes des nouvelles générations, la notion de « vie familiale » a peu à peu glissé vers celle, plus inclusive, de « vie personnelle ». Cette évolution du paradigme coïncide avec la transformation digitale, facteur de porosité accrue des temps. L’idée d’un « droit à la déconnexion» a émergé. La France a été le premier pays à légiférer sur le sujet en janvier 2017, suivie au printemps 2018 par la Belgique ou encore la Corée du Sud qui vient d’adopter une extinction forcée des ordinateurs des employés de la capitale à 19h le vendredi soir.

À l’échelle organisationnelle : négociation sur le cadre de travail et maturation des postures

 

Les pratiques des entreprises répondent à des réalités et des besoins contrastés, fonction notamment des secteurs professionnels et des branches de métiers. On trouve d’abord des réponses destinées à remodeler l’organisation même du travail pour la rendre plus « conciliante » :

  • Les chartes, comme celle de la Parentalité en Entreprise paraphée par plus de 500 employeurs, donnent le cap.
  • Les accords d’entreprise comme celui d’Orange ou le programme VP2 de KPMG (entre autres…) indiquent des engagements officiels de l’organisation.
  • En cohérence avec le légal et la politique d’égalité de l’organisation, l’accompagnement de la parentalité prend des formes variées : « mercredi père/mère de famille » chez L’Oréal (en plus du Congé Schueller), solutions permanentes ou ponctuelles d’accueil des enfants à l’instar des centres Filapi, missions sociales d’entreprise proposant des services d’aide à la parentalité et à l’éducation des enfants (comme l’Action Sociale chez SNCF)… Cet accompagnement est complété par de fermes mesures antidiscriminatoires vis-à-vis des salarié·e·s en temps partiel et en congés parentaux.
  • Le télétravail permet d’assouplir la contrainte d’agenda. Il a le mérite majeur de réduire la durée globale des trajets domicile/travail (avec des effets immédiatement lisibles sur l’absentéisme pour maladie… Car oui, les virus saisonniers raffolent des transports collectifs !) et encourage le corps managérial (et pas que…) à se défaire de la culture présentéiste. Il reste cependant essentiel de le concevoir comme une modalité d’organisation du travail et non comme un « avantage » offert aux salarié·e·s, afin d’une part de préserver le besoin de faire collectif au travail et d’autre part de protéger les collaborateurs/collaboratrices de certains effets pervers d’une porosité excessive entre les espaces de vie… Car que signifie articuler les temps, si les espaces se confondent jusqu’à l’invasion du territoire personnel par les dossiers et les soucis qui vont parfois avec ! Sans parler du risque de retour à la « double journée » pour celles qui, en travaillant de chez elles, pourraient être parfois considérées comme « un peu au foyer » par leurs proches. Les start-uppeuses qui rejoignent avec enthousiasme des espaces de co-working hors de leur domicile l’ont bien compris : quand la pause de 10 h est dédiée à lancer une machine à laver, ce n’est plus vraiment un avantage de travailler depuis chez soi !
  • Enfin, notons l’émergence de nouvelles formes d’emploi partant de la situation personnelle des collaborateurs/collaboratrices pour définir l’espace-temps et l’organisation du travail, comme par exemple le job sharing, en expansion aux États-Unis, en Suisse et aux Royaume-Uni.

Pour donner corps au « droit à la déconnexion » :

  • une forme de « netiquette au travail » s’est formalisée dans les normes de fonctionnement des entreprises, notamment via une clarification des règles d’utilisation des e-mails, en complément d’un meilleur encadrement des réunions comme des horaires de travail.
  • Prendre en compte le besoin des salariés à concilier leurs temps de vie, c’est aussi anticiper au mieux leurs déplacements. Cette anticipation s’apprécie aussi plus largement dans un accompagnement à l’expatriation : par exemple lorsqu’en 2012 L’Oréal met en place avec d’autres grands groupes l’International Dual Career Network dédié à l’emploi des conjoint·e·s d’expats.

D’autres mesures relèvent davantage des postures. On pense notamment à la formation du corps managérial, pour sensibiliser à l’importance de l’exemplarité : quel message implicite relaie-t-on lorsqu’on envoie un mail un dimanche soir ou au beau milieu de la nuit ? À l’inverse, un·e manager envoie de vraies autorisations en assumant de quitter soi-même le travail plus tôt…

À l’échelle individuelle : discipline organisationnelle et négociation avec son organisation… Et son environnement familial !

 

L’État et l’entreprise peuvent déployer toutes les mesures possibles, si nous ne nous attachons pas nous-même à concilier nos temps de vie…

Cela demande une certaine discipline organisationnelle : en posant des règles de joignabilité ponctuelles et en compartimentant ses outils de communication (séparation des adresses mail pro et perso, utilisation cloisonnée des réseaux sociaux), on évite déjà de nombreux écueils.

Si cela ne suffit pas, alors on songe, si les moyens du foyer le permettre, à déléguer les tâches qui peuvent l’être (sans pour autant être la/le seul·e de la famille à connaître le numéro des baby-sitters et à gérer la facturation de la femme/de l’homme de ménage) et à hiérarchiser celles qui restent, dans l’optique de diminuer sa charge mentale, comme le préconise par exemple la méthode Getting things done de David Allen.

On essaie aussi de se ménager un espace de ressourcement mental avec des pauses, des vraies… Et on développe son « optimalisme » pour laisser place au lâcher-prise et à l’acceptation de son imperfection. Oui, oui, on lutte activement contre le syndrome de la bonne élève et le complexe de superwoman !

On négocie avec sa cellule familiale, à la fois un partage des tâches domestiques qui soit le plus juste possible, mais aussi les limites à poser vis-à-vis de ses obligations professionnelles : se donner une heure limite pour quitter le bureau le soir, s’interdire de ramener l’ordinateur le weekend, ranger le smartphone à table (ça ne rend que plus crédible quand on demande à l’ado de lâcher sa tablette)…

Sans oublier de négocier sa propre organisation professionnelle en fonction des besoins de son service et des enjeux de sa présence sur le lieu de travail, dans le cadre global des possibilités offertes par le légal et les mesures internes. Il est toujours bon d’aborder en entretien annuel son ressenti sur sa charge de travail et les principes de fonctionnement adaptés… Le monde actuel nous demande d’être « chef·fe·s de projet » de nos vies : négocions avec tous nos entourages les moyens effectifs de remplir la mission !

Valentine Poisson & Marie Donzel, pour le webmagazine EVE