Ellevest, fonds d’investissement américain créé par et pour les femmes, vient de faire paraître une étude complète sur le rapport des femmes à l’argent. Portant sur un panel paritaire, cette étude révèle une sous-estimation par les hommes du fait d’inégalités salariales. Décryptage.
4 hommes sur 10 ne « croient » pas aux inégalités salariales !
Pour 83% des femmes interrogées, c’est une évidence que les femmes ne reçoivent pas une rémunération équivalente à celle des hommes pour un même travail. Mais 39% des hommes du panel n’y « croient » pas.
Il n’est alors guère étonnant que les hommes soient, selon la même étude, plus de deux fois moins nombreux que les femmes à se sentir concernés par la question des inégalités professionnelles : comment s’engager dans une cause quand on ne voit pas où il y a un problème ?
La rumeur du « mythe » des inégalités salariales
Pour l’éditorialiste de CNN Money Julia Carpenter, un courant d’opinion traversant tout l’échiquier politique américain remet en cause aujourd’hui le fait d’inégalités salariales, dénoncé comme un « mythe » victimaire.
Les tenants de cette thèse du « mythe » des inégalités argumentent sur les différences de choix d’orientation, de secteurs et de métiers pour justifier les écarts observables sur le bulletin de paie. L’on affirme aussi que les femmes travaillent moins que les hommes. Et encore que les femmes négocie(rai)ent moins bien leur rémunération que les hommes, que les femmes sont plus souvent absentes, que les femmes sont davantage portées sur le sens et les satisfactions immatérielles que sur la performance et la récompense sonnante et trébuchante de leur apport à la valeur (essentialisme, quand tu nous tiens !)… Autant de « rationalisations » qui peuvent effectivement faire mouche chez les esprits les plus enclins au déni des discriminations.
La complexité de la question des inégalités salariales au cœur de la perplexité ?
Il est cependant exact que les discriminations liées au genre ne sont pas les seules causes des inégalités de rémunération. Raison pour laquelle l’OIT distingue depuis maintenant une dizaine d’années l’écart expliqué de l’écart inexpliqué.
Le premier recouvre tout ce qui procède de différences de condition professionnelle (le secteur, le métier, le niveau de diplôme, l’expérience…) empêchant que l’on parle strictement de « travail égal ». C’est un bon indicateur du plafond de verre et de la rareté des femmes aux positions les plus rémunératrices ainsi que du défaut de mixité dans les secteurs les plus porteurs.
En face, l’écart inexpliqué n’est rien d’autre que la part discriminatoire des inégalités salariales. C’est quand, à fonctions sensiblement équivalentes dans un même secteur, une femme perçoit 9% de moins qu’un homme en France, 8% de moins aux Etats-Unis, 15% au Royaume-Uni…
Douter du fait d’inégalités pour ne pas douter de ses propres mérites ?
Pour Ariane Hegewisch, membre de l’Institute for Women’s Policy Research, la cause de la perplexité d’une partie des hommes quant au fait d’inégalités salariales, n’est pourtant pas à chercher du côté de difficultés à cerner la complexité des modes de calcul de ces écarts. Pour elle, le déni de ces hommes procède avant tout d’une justification de leur propre position : les hommes ne veulent pas croire à un système inégalitaire, parce qu’ils en sont les bénéficiaires, explique-t-elle. Admettre que la situation leur est structurellement favorable reviendrait à remettre en question leur mérite. Et de pointer le caractère deux fois dénarcissisant de la chose : voir mise en doute sa légitimité à gagner plus que d’autres et être le « bad guy » qui en profite !
Comment sortir du déni… Et surtout, comment en finir avec les inégalités salariales ?
Sans doute que les discours susceptibles d’être reçus comme la dénonciation d’une excessive rémunération des hommes ne sont pas pour aider à leur conscientisation. A ce titre, la récurrence des propos survalorisant la qualité du travail des femmes et héroïsant leur capacité à tout mener de front tendraient à braquer les hommes, en même temps qu’ils piègent les femmes dans le « complexe de superwoman » (laquelle recevra peut-être une médaille — en chocolat –, mais pas forcément une belle augmentation). La pédagogie sur les stéréotypes, biais inconscients et effets de la mixité sur la performance semble plus appropriée.
Néanmoins, pour Sallie Krawcheck, co-fondatrice & CEO d’Ellevest, les efforts de sensibilisation montrent leurs limites (et ce d’autant plus que les hommes ne se montrent pas toujours aussi assidus à la formation « gender equality » qu’à des modules de formation plus directement consacrés au business). C’est sur les femmes qu’elle préfère donc miser : à elles d’exiger l’égalité de traitement (notamment en promouvant la transparence salariale, levier redoutablement efficace pour lever l’autocensure !) et plus généralement de forcer les entreprises à se transformer pour devenir réellement inclusives. Elle leur lance un appel : vous êtes 83% à considérer que les femmes sont moins bien payées, soyez autant à vous battre contre cela jusqu’à ce que c’en soit terminé!
Marie Donzel, pour le webmagazine EVE