Entretien avec Nathalie Roos, Directrice Générale de la Division des Produits Professionnels de L’Oréal, membre du ComEx.
Pouvez-vous nous raconter le parcours qui vous a mené à vos fonctions atuelles ?
Nathalie Roos : A ma sortie de l’école de commerce de Reims, en 1987, je suis entrée aux ventes chez Kraft Foods. A la surprise de certain·es de mes camarades et professeur·es car le commercial n’est pas forcément vu comme la voie royale dans les écoles de commerce. Mais moi qui suis la petite-fille d’un représentant en pièces automobiles et la fille d’un repreneur d’entreprise, j’avais envie comme mon père et mon grand-père d’aller « chez le client ».
Je suis très attachée à ma région d’origine, l’Alsace, et le fait que Kraft me propose un poste à Strasbourg était un argument très convaincant ! Peu après, j’ai cependant été nommée cheffe de vente régionale à Lyon. Je faisais les allers-retours pour retrouver mon mari le week-end, mais j’avais envie de rentrer chez moi. J’ai postulé chez Mars à Haguenau où j’ai passé onze années, à différents jobs. En 2000, j’ai eu envie de changer d’entreprise, mais toujours pas de région, donc je suis partie chez Kronenbourg où je suis rapidement devenue directrice commerciale. Mars m’a rappelée pour prendre la direction générale France puis la Présidence de la zone Europe. Jean-Claude Le Grand (ndlr : Directeur du développement international RH de L’Oréal) m’a repérée à cette époque, en me voyant dans l’émission « La blonde et moi » sur Paris Première. Il m’a contactée et il m’a fallu quatre ans pour me décider ! Finalement, j’ai accepté en 2012 de rejoindre le Groupe L’Oréal pour y prendre la direction générale de L’Oréal en Allemagne. En 2016, j’ai rejoint le ComEx du Groupe l’Oréal en tant que Directrice générale de la division Produits Professionnels.
Qu’est-ce qui a guidé votre ambition au cours de ce parcours ?
Nathalie Roos : Mes enfants ! Je viens d’une famille où l’on poussait les filles à faire des études et à se projeter dans une bonne situation professionnelle. Moi, jeune fille, je rêvais de me marier et d’avoir une famille. J’ai voulu les deux, la carrière et la famille, et c’est depuis toujours la clé de mon équilibre. J’ai parfois refusé des jobs, comme l’organisation de la coupe du monde de 1998 pour Mars partenaire officiel, parce que je voulais voir grandir mes enfants. En faisant un choix comme celui-là, on teste son entreprise : jusqu’où est-elle prête à vous faire progresser tout en respectant votre personnalité, vos valeurs, vos choix de vie ? Je dois dire que j’ai eu de la chance de ce point de vue-là, tout au long de mon parcours professionnel, et qu’en l’occurrence, c’est très précisément ce qui m’a convaincue de venir chez L’Oréal : dans ce groupe, la notion de talent a un vrai sens, on vous veut pour votre singularité, ce que vous avez d’unique, et on se donne les moyens de cela. Cette culture d’inclusion qui respecte et valorise les personnes pour ce qu’elles sont est en résonance directe avec mon ambition de faire la différence par l’humain.
Cette ambition de faire la différence par l’humain vous a conduite à être une pionnière du management dit « alternatif », avec une forte dimension collaborative…
Nathalie Roos : Pour moi, ça n’a rien d’alternatif ! Je veux bien entendre que nous sommes encore minoritaires à mettre en pratique les dynamiques collaboratives au quotidien, mais ça n’est pas alternatif, c’est le bon sens et la raison même du management : ce qui fait la réussite d’une entreprise, ce sont les femmes et les hommes qui y travaillent ensemble. Trop de corporate managers pensent faire le bien en prenant les bonnes décisions qui suivent les bonnes procédures, mais ils ont oublié que l’entreprise est une affaire d’entrepreneur·es. Nous sommes tou·te·s des artisans de la réussite de L’Oréal qui est en même temps notre réussite personnelle et nos réussites collectives. Mon métier de dirigeante, c’est de faire ressentir cela à chacun·e des collaborateurs/collaboratrices : nous ne sommes pas dans une organisation qui nous dépasse, nous sommes cette organisation et nous pouvons y agir !
Vous étendez cette vision du « collectif » solidaire et engagé jusqu’aux parties prenantes de l’entreprise, notamment les fournisseurs. En quoi cela vous parait stratégique ?
Nathalie Roos : Quand vous avez de bonnes relations avec vos commerçant·es de quartier, on vous sert ce qu’il y a de mieux, on connait vos préférences, on vous conseille, on vous rend des services… Ce qui est vrai pour l’individu qui prépare un bon dîner l’est aussi pour l’écosystème de l’entreprise qui organise sa chaîne de valeur. Avoir des relations partenariales durables avec nos fournisseurs, bien les connaître et faire en sorte qu’ils nous connaissent bien, qu’on travaille en bonne intelligence et avec des règles du jeu équitables qui garantissent une juste réciprocité, c’est tout simplement la clé de la qualité. Les intérêts de nos fournisseurs sont les nôtres et vice versa.
Quand l’environnement évolue, on s’adapte ensemble pour que tout le monde y trouve son compte. Je vous donne un exemple : les produits capillaires professionnels de L’Oréal ont longtemps été vendus uniquement dans les salons de coiffure. La montée en puissance rapide de l’e-commerce fait qu’on les trouve, moins chers, sur des plateformes de vente en ligne. Alors, on fait quoi ? On lâche nos partenaires historiques que sont les salons pour travailler désormais avec les e-retailers ? Non, on organise la vente en ligne de façon à emmener via l’e-commerce les clients finaux vers les salons ; ça peut par exemple prendre la forme de bons pour un service en salon offert avec l’achat d’un produit.
Quelle place donnez-vous à la mixité femmes/hommes dans cette vision globale du collaboratif comme facteur de performance aux bénéfices partagés ?
Nathalie Roos : Ma propre expérience me fait dire que c’est un atout d’être une femme. J’ai pu jouer sur toute la palette des codes : la féminité très assumée comme l’assertivité assurée. Les hommes ont, je pense, moins de champ des possibles pour construire leur propre style, dans une société qui leur demande encore d’être discrets sur leur sensibilité, leurs peurs, leur envie de vivre pleinement la paternité…
Je pense que c’est encore plus un atout aujourd’hui d’être femme quand la mixité est reconnue comme un facteur de performance et que les entreprises se mobilisent pour en faire une réalité. Mais j’ai bien sûr conscience que des discriminations perdurent et que le vécu de certaines femmes au travail est loin de la chance que moi-même j’ai eue qu’on ne me manque pas de respect en tant que femme ou pour mes choix de vie. Le changement doit encore se faire de ce point de vue-là et il faut que les hommes en soient parties prenantes. Chez L’Oréal, nous sommes dans une situation un peu particulière avec une problématique mixité liée au déficit d’hommes dans l’effectif. Nous voulons les attirer avec des valeurs qui n’ont pas de genre : l’esprit entrepreneurial, le goût du challenge, l’envie de participer à des projets innovants (nous proposons des métiers qui touchent au digital, à l’intelligence artificielle, la data…). Notre vision du talent, celle dont j’ai moi-même bénéficié, qui fait place à la singularité de l’individu et autorise toutes les audaces, doit aussi les convaincre de nous rejoindre. Et je pense que c’est en permettant aussi aux hommes d’être eux-mêmes que l’on peut changer la donne pour les femmes.