C’est désormais la palissade de dire que la transformation digitale est une véritable révolution culturelle impactant l’ensemble des activités humaines, dans les modes d’organisation, de production, de distribution, de communication, mais aussi dans les usages, les postures, les perceptions et projections, les rythmes, les mentalités…. De quelle façon cette mutation historique porte-t-elle effet sur la condition des femmes au travail, sur leur empowerment économique et sur leur leadership ? Le webmagazine EVE fait le point.
Des opportunités inédites de développement professionnel
Des voies de traverse pour contourner le plafond de verre
En tant que source de très nombreuses nouvelles activités, et notamment d’initiatives de nature entrepreneuriale (création d’entreprise en propre ou projet intrapreneurial), la transformation digitale multiplie les voies du parcours professionnel.
En désintermédiant et déverticalisant les organisations, la culture digitale offre, en théorie, les moyens sinon de faire exploser le plafond de verre au moins de le contourner. Fini les freins à l’ascension quand ce n’est plus vers le haut d’une pyramide qu’on se projette !
Des outils pour assouplir l’organisation du travail
Par ailleurs, les outils digitaux libèrent en partie du présentiel, dont il est connu qu’il pénalise les femmes au travail dans la mesure où pèse encore majoritairement sur elles la charge horaire des responsabilités domestiques et parentales. On ne peut pas être à la maison et au boulot en même temps, sauf quand l’espace-temps professionnel peut être organisé avec une certaine souplesse.
Pour autant, même si l’organisation est moins casse-tête, la question de la double journée des femmes n’est pas résolue… Et celle de la charge mentale, non plus (surtout si les applis réputées simplifier la vie de famille – agenda des activités, agence de baby-sitting, e-liste de courses etc. – sont essentiellement sur le smartphone de madame !)
Une culture du networking favorable à la circulation de l’information sur les opportunités
Enfin, la culture social web est intrinsèquement celle du networking. Elle est, dans cette mesure, en capacité de répondre à la problématique du déficit d’accès des femmes à l’information sur les opportunités et aux relations utiles à une démarche de progression. Néanmoins, l’étude IPSOS/BCG/HEC au féminin révélait en 2015 que les réseaux sociaux en ligne ne remplissent pas les mêmes fonctions que les réseaux professionnels traditionnels et qu’en l’espèce, les femmes en font davantage que les hommes un usage personnel plutôt que professionnel.
Des inégalités d’accès aux opportunités du numérique qui recoupent les traditionnelles inégalités de genre
Un ratio création/destruction d’emplois défavorable aux femmes
La transformation digitale est créatrice de nouvelles opportunités, nouvelles activités, nouveaux métiers… Mais comme lors de tout grand pas en avant technologique, elle va de pair avec des destructions d’emplois et des disparitions de métiers. Les prospectivistes du FMI, dans un rapport de 2016 intitulé The Future of Jobs, font l’hypothèse d’un ratio allant de 3 à 5 emplois détruits dans l’économie traditionnelle pour 1 emploi créé dans le champ des « nouveaux métiers ». Selon la même étude, la structure de l’emploi voué à disparaître (tâches opérationnelles à faible valeur ajoutée les plus susceptibles d’être remplacées par des interventions robotiques) menace davantage la population active féminine que masculine. Et les auteur·es ne se contentent pas de souligner les effets sur l’emploi féminin de la population actuellement sur le marché du travail mais s’inquiètent d’un risque de « perte de chance massive » pour les femmes des générations futures si les formations techs restent aussi peu mixtes.
Une insuffisante mixité dans les formations et métiers tech
Plusieurs études récentes (GenderScan, Social Builder…) soulignent en effet un déficit inquiétant de femmes dans les filières scientifiques préparant aux métiers du digital. Non seulement, elles sont moins de 20% dans les effectifs des formations techs (et pour certaines de ces formations, pas plus de 5%) mais de surcroît s’y orientent-elles plus tardivement, prennent plus fréquemment la décision de se réorienter en cours de cursus et optent plus souvent après obtention de leurs diplômes, pour des fonctions dites « supports » de l’économie traditionnelle (marketing/communication, RH, finance) dans le secteur même des nouvelles technologies.
Des effets « classiques » d’écarts de genre transposés dans l’économie d’avenir
Des écarts de genre se retrouvent encore dans la population start-uppers. Les femmes créent plus volontiers dans les services et les hommes dans des innovations vouées à des applications industrielles.
De ce fait, les femmes lèvent moins de fonds que les hommes : le baromètre KPMG/StartHer de 2017 établit à 7% des montants levés par les start-uppers qui vont à des entreprises fondées/dirigées par des femmes. Ce faible chiffre s’explique d’abord par de moindres besoins de financement (quand on lance une appli de services en ligne, on a moins besoin d’argent que lorsqu’on développe un produit robotique intégrant des composants rares) sans que ça exclut des phénomènes de discrimination : une étude menée par des chercheurs et chercheuses des Universités Columbia de New-York et de Pennsylvanie montrent que les investisseurs ne posent pas les mêmes questions aux start-uppeuses et aux start-uppers. Notant que les investisseurs mettent aux hommes la pression pour qu’ils gagnent, à grands renforts de questions sur le potentiel de leur projet, tandis qu’ils adressent aux femmes le message qu’elles ne doivent pas perdre en insistant sur les garanties qu’ils attendent d’elles, les universitaires établissent au final que les chances d’obtenir des financements de montants équivalents vont de simple au quintuple selon le sexe du porteur de projet !
La transformation digitale : une opportunité pour l’empowerment et le leadership des femmes… Mais ça ne se fera pas tout seul !
Au final, il apparait que la transformation digitale peut être une formidable opportunité pour l’empowerment et le leadership des femmes. Comme toute dynamique de mutation majeure de l’économie et de la société, elle est l’occasion de rebattre les cartes des fonctions, des relations, des légitimités, de l’appréciation de la valeur…
Toutefois, cette transformation se réalisant malgré tout à partir d’un contexte qui n’avantage pas les femmes, elle ne saurait spontanément réduire les inégalités. Le monde nouveau se construit sur le monde ancien et sans politique volontariste visant à embarquer le progrès social et sociétal dans les transformations technologiques et économiques, il est probable que la société du numérique soit tout aussi inégalitaire que celles qui sont sorties des premières, secondes et troisièmes révolutions industrielles. Sont donc plus que jamais d’actualité les actions visant à stimuler les vocations féminines dans les filières scientifiques et techniques, à encourager l’ambition des femmes qui entreprennent et à veiller aux biais inconscients qui infusent des stéréotypes archaïques dans un avenir que nous devons être les plus libres possibles d’écrire.
Marie Donzel, pour le webmagazine EVE