Rencontre avec Francesca Aceto, Présidente de SNCF au féminin.
Francesca Aceto a pris il y a un peu plus d’un an les rênes du plus grand réseau de femmes en entreprise : SNCF au féminin. Dans une interview accordée au webmagazine EVE, elle revient sur son parcours, expose sa vision des questions de mixité et présente les objectifs stratégiques du réseau ainsi que les méthodes qu’elle met en œuvre pour les atteindre.
Pouvez-vous retracer pour nous le parcours qui vous a amenée à entrer dans le groupe SNCF puis à y progresser jusqu’à prendre le poste de Présidente de SNCF au féminin ?
Francesca Aceto : Après mon diplôme de sciences politiques obtenu à Turin, je suis entrée aux chemins de fer italiens en 1994. J’ai été détachée pendant un à l’UIC*. Cette expérience internationale a révélé une vocation en moi : je trouve ma place quand je fais parler les cultures entre elles. Cette année-là, je suis aussi tombée amoureuse de Paris ! Alors, j’ai candidaté à la SNCF.
Entrée comme cheffe d’escale à la Gare du Nord, j’y ai été nommée directrice adjointe de l’Eurostar. Puis je suis passée à la direction des Gares et Escales, devenue Gares & Connexions, où j’ai notamment été en charge de la communication et des relations internationales. On m’a ensuite proposé la direction marketing du TGV Paris-Milan. Une très belle opportunité alors qu’approchait l’expo universelle de Milan dont SNCF était partenaire via le Pavillon France.
Qu’est-ce qui vous décide à devenir ensuite, fin 2016, Présidente de SNCF au féminin ?
Francesca Aceto : C’est Virginie Abadie-Dalle, la créatrice du réseau ! En 2015, à l’approche de son départ en retraite, elle cherchait une succession et, même si j’étais membre impliquée du réseau depuis ses débuts, en charge notamment du mentoring, je ne m’étais même pas posé la question pour moi-même. Je reçois un matin un SMS de Virginie : « J’ai eu une révélation, c’est toi ! ». Je lui ai répondu que je n’étais pas représentative : moi, je suis l’italienne de service, je n’ai pas la casquette « femmes, égalité, mixité » !
En parallèle, on me proposait un autre poste important dans le groupe et dans ce cadre, j’avais bénéficié d’un coaching de prise de poste. Cette expérience de coaching m’avait fait prendre conscience de l’importance de sentir alignée, équilibrée, au plus près de ce que l’on veut vraiment. En regardant la proposition de Virginie sous cet angle, c’est devenu une évidence : oui, je pouvais être à ma place et apporter quelque chose en prenant la tête de SNCF au féminin.
Aviez-vous des prédispositions personnelles pour vous intéresser à l’égalité femmes/hommes ?
Francesca Aceto : J’en avais mais je ne le savais pas. C’est en entrant dans la mission que j’ai pris conscience de tout ce que cette question remuait en moi. Oui, j’ai eu des plafonds de verre, je me suis construite sur des difficultés et j’ai trop souvent, comme beaucoup de femmes, porté un jugement trop dur sur moi-même.
La cause de l’égalité femmes/hommes demande une réflexion intérieure très profonde. C’est en cela que l’on parle d’engagement. Ca vous change en tant qu’individu et c’est ce qui vous permet d’agir pour changer l’organisation.Avec cela, la dynamique de solidarité, propre au fonctionnement en réseau, vous permet de vous sentir plus fort·e et de donner de l’ampleur à l’action.
Quels sont les grands objectifs que vous fixez au réseau SNCF au féminin ?
Francesca Aceto : SNCF au féminin attaque la montagne de la mixité par les deux versants : libérer les femmes (développer leur audace, faire sauter leurs complexes et freins…) et agir sur l’organisation pour donner les mêmes chances de réussite.
Il y a un troisième versant : aller chercher des femmes. SNCF compte 21% de femmes au global, elles sont 27% des cadres et un peu moins de 25% des cadres sups/dirigeantes. Nos chiffres de mixité de l’encadrement ne sont donc dramatiques au regard de la proportion de femmes dans le groupe. Mais nous devrions avoir plus de femmes au global et surtout nous devrions les voir dans certains métiers du cœur d’activité où elles sont particulièrement sous-représentées (le matériel, le roulant…).
Ce déficit de mixité amène à poser sur la table une foule de questions, qui relèvent de problématiques corporate telle la politique de marque employeur comme de petits détails du quotidien de travail qui ne le rendent pas assez accueillant pour les femmes. C’est toute la culture de l’entreprise et du secteur ferroviaire qu’il faut faire évoluer pour attirer les femmes. Et c’est bien ce qui est passionnant : SNCF au féminin est là pour faire bouger tout SNCF.
Pouvez-vous donner quelques exemples de la façon dont SNCF au féminin fait bouger les lignes dans l’entreprise ?
Francesca Aceto : C’est la démarche même des groupes experts de SNCF au féminin : nés du constat que la voix des femmes sur l’innovation n’était pas assez entendue dans une entreprise qui n’en compte encore pas suffisamment aux fonctions stratégiques, ces think & do tanks sont autant d’espaces d’expression des idées nouvelles sur des sujets clés pour l’entreprise, aussi bien dans le champ de l’activité ferroviaire, de l’expérience voyageurs que de l’organisation et du management.
Nous avons fait en 2016 une grande restitution des travaux de ces groupes et présenté une quinzaine de projets innovants à Guillaume Pepy. Dans la foulée, il nous a demandé de penser un dispositif d’ « industrialisation » pour mettre en œuvre puis déployer ces innovations partout où elles seront pertinentes. C’est ainsi que le programme d’intrapreneuriat, lancé à l’automne 2017, a vu le jour.
Quelles sont les évolutions du réseau à venir dans les temps qui viennent ?
Francesca Aceto : Le réseau compte aujourd’hui plus de 6000 membres. Ce sera beaucoup plus demain, car il s’ouvre aux non-cadres. C’est une demande qui remonte aux origines du réseau. Notre organisation en ambassades régionales, au plus près de là où les personnes travaillent et vivent, permet cette extension plus facilement que dans des réseaux très centralisés. Néanmoins, cela va impliquer certaines évolutions de nos méthodes, pour adapter l’offre de développement personnel notamment, aux contraintes, au rythme et aux besoins de populations non-cadres.
Un autre grand enjeu pour le réseau est l’engagement des hommes. Le réseau leur est déjà ouvert mais ils sont encore peu nombreux à en être membres et à participer à ses travaux. Or, ma conviction est que de la même façon que l’on ne peut pas se passer de la moitié féminine de l’humanité pour la performance économique, on ne peut pas faire l’égalité de genre sans impliquer les hommes. Il faut trouver des leviers efficaces pour les engager dans la durée. Des initiatives existent, comme le réseau Happy Men – Share More dont SNCF est partenaire, mais il faut diversifier les points de contact, les discours et les modalités d’engagement pour que chacun se sente concerné.
Propos recueillis par Marie Donzel, pour le webmagazine EVE
*Union Internationale des Chemins de Fer, structure rassemblant les grands acteurs mondiaux du ferroviaire pour organiser des synergies entre eux et promouvoir le chemin de fer auprès des instances décisionnaires aux échelles nationales et supranationales).