Social Builder, start-up sociale experte de la mixité dans le secteur du numérique et de l’innovation avancée vient de faire paraître une étude sur le sexisme dans les formations tech. Le rapport, préfacé par Brigitte Grésy, révèle une situation alarmante alors même que l’enjeu de faire de la transformation digitale une opportunité de transformation des cultures d’entreprise est au cœur des discours actuels sur la mixité et des projets stratégiques des organisations.
1000 étudiant·es (60% d’hommes et 40% de filles) issu·es de 18 établissements et structures de formation au numérique ont répondu à un questionnaire complet sur leurs motivations d’orientation, leur vécu des rapports de genre dans le cadre de la formation et leur vision de la « culture geek ». Synthèse commentée.
Des motivations identiques pour s’orienter vers les métiers du numérique, mais des parcours différenciés
Femmes et hommes accordent au secteur du numérique les mêmes qualités : créativité des métiers offerts, attractivité de la rémunération et flexibilité de l’emploi forment le triangle d’or des motivations des sondé·es. Pas de méprise donc, sur l’intérêt et les opportunités du secteur : les filles ont parfaitement conscience que se former au numérique, c’est un bon pari sur l’avenir.
Néanmoins, l’étude nous apprend que si les hommes s’orientent tôt vers les formations techs (majoritairement dans la foulée du bac), les femmes elles y viennent plus volontiers après avoir obtenu d’autres diplômes. En cause, selon les rapporteur·es de l’étude, un sentiment supérieur d’illégitimité chez elles, que cela s’exprime directement (pour 67% des femmes interrogées) ou aille chercher du côté de la ségrégation genrée des filières au lycée (les bachelier·es littéraires se sentant moins « autorisé·es » à se projet et dans un métier techs que celles et ceux qui ont suivi un parcours scientifique).
Un désir affirmé de mixité chez les jeunes promis·es à une carrière dans la tech
La rareté des femmes dans les effectifs des écoles formant à la tech et plus globalement dans le secteur est perçue comme un déficit. En effet, 94% des répondant·es estiment que les femmes ne sont pas suffisamment représenté·es… Et qu’elles devraient l’être davantage puisqu’elles et ils ne voient dans leur immense majorité aucun inconvénient à travailler en mixité ni à être managé·e par un·e supérieur·e de l’autre sexe. Les valeurs de la mixité semblent acquises et pour les équipes de Social Builder qui ont rédigé le rapport d’étude, c’est un fait à rapprocher de la culture GenY, rétive aux discriminations…. A moins qu’elle soit partiellement dans le déni de celles-ci.
Car malgré un consensus d’opinions favorables à la mixité, la culture sexiste a le cuir épais. 73% des femmes interrogées disent être régulièrement témoins de blagues sexistes et 53% les avoir directement subies.
Le sexisme dans l’innovation, un paradoxe ?
La récurrence des saillies sexistes sous couvert d’humour est la plus forte dans les formations qui comptent une large majorité d’hommes dans leurs effectifs. Sans pour autant que le sexisme soit absent des univers de formation majoritairement féminins.
La différence toutefois, c’est que dans le premier cas, les femmes perçoivent deux fois plus que les hommes la prégnance du sexisme ; tandis que les niveaux de perception sont équivalents dans le second. En d’autres termes, on serait non seulement plus sexistes quand on en est une majorité d’hommes, mais de surcroît, on en est moins conscients.
L’homosociabilité masculine, facteur de sclérose culturelle
Un constat qui amène les rapporteur·es de l’étude à pointer du doigt une culture tech par trop empreinte de misogynie archaïque quand on voudrait s’attendre à ce qu’un secteur tourné vers l’avenir se départisse des reliefs passéistes dans les rapports de genre.
Avec, parmi les personnes en formation au numérique, moins de 20% de femmes (et tout juste 5% dans certains établissements), le secteur peine à faire évoluer les cultures et usages. Le rapport parle d’ « homosociabilité masculine » favorisant les comportements et agissements excluant les femmes, voire les intimidant jusqu’au découragement.
La « culture geek » en question ?
Faut-il alors mettre au pilori ce qu’on appelle la « culture geek » ? Celle-ci « fait référence à un ensemble culturel. Des stéréotypes existent sur les membres de cette culture : un garçon, jeune, plutôt blanc, peu à l’aise dans leurs relations sociales (notamment avec les femmes), s’investissant dans ses activités préférées que seraient l’informatique, les jeux vidéos, les mangas, les séries, la science-fiction, etc. » dit l’étude.
Cette culture est marquée par certains usages communautaires, tels que le « trollage » qui consiste à occuper l’espace des réseaux sociaux pour créer de la vaine polémique dans l’intention assumée de nuire et débouche potentiellement sur du cyberharcèlement. Certains forums sont ainsi des nids à commentaires dégradants, où les femmes sont plus souvent qu’à leur tour objet d’attaques violentes.
Cette culture a aussi dans son ADN le « hacking ». Bien qu’issue de mouvements progressistes (comme le retrace l’ouvrage « L’âge du faire » de Michel Lallement que nous avons précédemment chroniqué), la communauté hacker se trouve aujourd’hui à 90% masculine et pourrait parfois interpréter le mot d’ordre « breaking codes » dans la compréhension minimaliste d’un chèque en blanc pour toutes les formes d’irrespect, donc aussi envers les femmes.
Cependant, la chercheuse en sciences de l’éducation Isabelle Collet invite à une grande prudence face à la tentation de « bouc-émissariser la culture geek ». Ce n’est pas tant cette culture alternative qui pose problème en soi que le fait qu’elle soit massivement investie par les hommes et délaissée par les femmes. La culture geek n’est selon elle pas plus sexiste que toute autre culture où un genre occupe et domine la majorité de l’espace du discours.
Des pistes pour changer la donne
En conséquence de ces analyses, Social Builder porte l’accent sur l’urgence de faire progresser la mixité dans le secteur en s’appuyant sur les établissements de formation au numérique. La diversification du recrutement des étudiant·es est le premier défi à relever. De beaux efforts en ce sens sont menés sur le plan de la mixité sociale par un certain nombres de structures de formation ; la mixité de genre devrait faire l’objet d’une même préoccupation, avec des innovations dans les processus de sélection répondant de façon spécifique aux effets de frein qui découragent ou écartent les femmes.
Une transformation culturelle est aussi à opérer à travers des actions de sensibilisation portées avec détermination par l’encadrement institutionnel et pédagogique des établissements d’enseignement.
Social Builder recommande par ailleurs des espace-temps de non-mixité réservés aux étudiantes afin qu’elles puissent immédiatement bénéficier d’une sérénité propice à l’apprentissage puis qu’elles échangent sur leurs difficultés partagées afin de participer à co-construire les solutions qui feront évoluer leur condition dans l’environnement. Une logique « empowerment » de réseau de femmes, en somme.
Marie Donzel, pour le webmagazine EVE