L’équipe du webmagazine EVE passe en revue les actus marquantes de juillet et août 2017 sur le front de l’égalité femmes/hommes, de la mixité et du leadership équilibré.
La promesse de l’été : $1Milliard pour l’entrepreneuriat au féminin
C’est en marge du G20 d’Hambourg, qui s’est tenu les 7 et 8 juillet 2017, que les responsables de la Banque mondiale ont annoncé la création du fonds We-Fi (Women Entrepreneurs Finance Initiative). Plusieurs pays, dont l’Allemagne, l’Australie, la Chine, le Canada, le Japon, les Emirats Arabes Unis et les Etats-Unis, sont donateurs de l’amorce du fonds, à hauteur de 325 millions de dollars. Cette mise initiale doit permettre de lever plus d’un milliard auprès des institutions financières internationales et des banques commerciales.
Les moyens financiers ainsi mobilisés seront employés à pourvoir une assistance technique aux créatrices du monde en développement et à contribuer au financement de projets économiques portés par des femmes. Un programme d’empowerment & leadership des femmes complète le dispositif.
Pour les initiateurs de We-Fi, l’enjeu est double : il s’agit de stimuler le développement économique en misant sur la capacité entrepreneuriale de celles qui sont encore trop souvent écartées du monde des affaires, mais aussi d’inscrire l’activité de celles qui sont déjà entrepreneures dans un cadre formel, à la fois plus propice au déploiement de leur activité, plus émancipateur et plus sécurisé pour elles-mêmes et plus transparents pour les diverses parties prenantes de leurs activités.
Presqu’unanimement saluée, l’initiative qui a rapidement pris le petit nom de « fonds Ivanka Trump » car c’est la fille du Président américain qui en est la marraine, a néanmoins suscité quelques remarques sur la modestie du montant ambitionné : 1 milliard de dollars, c’est 12 fois moins que le fonds d’amorce de la Société financière internationale (IFC), fonds généraliste de la banque mondiale dédié aux investissements privés. L’IFC investit cependant de son côté déjà 1,6 milliards pour l’entrepreneuriat des femmes dans les économies émergentes. Au total, la Banque mondiale compte donc mobiliser autour de 2,5 milliards dans ce champ. C’est bien, mais c’est seulement 20% des montants investis par la Banque mondiale dans l’entrepreneuriat, alors même que selon ses propres chiffres, 30% des entreprises à l’échelle planétaire sont détenues par des femmes et que le déficit annuel de financement de leurs entreprises s’établit autour de 300 milliards de dollars.
Le hashtag de l’été : #AintNoCindirella
« Je ne suis pas Cendrillon », c’est la e-légende des selfies de centaines de femmes indiennes postés sur les réseaux sociaux ces dernières semaines. Leur façon d’affirmer leur liberté d’aller et venir, sans crainte et sans reproche, à toute heure du jour et de la nuit. Aux origines du mouvement, il y a le témoignage de la DJ Varnika Kundu sur le harcèlement dont elle a été victime en rentrant chez elle dans la nuit. Des milliers de partages plus tard, l’affaire est à la une des médias. A la télévision, un politicien local renvoie la balle dans le camp de l’agressée, qu’il renvoie par la même occasion dans ses pénates : « Cette femme n’aurait pas du être dehors à minuit ». Et les femmes indiennes de lui répondre qu’elles ne sont pas des Cendrillon ! A minuit comme à midi, elles entendent ni s’enfermer à la maison ni s’entourer de chaperons.
Cette action s’inscrit dans une dynamique d’empowerment des femmes en Inde soutenue par une intense vie culturelle. Deux exemples en témoignent : le succès de l’e-expo de l’artiste Sujatro Gosh qui dénonce le meilleur sort fait aux vaches qu’aux femmes dans la tradition ; et l’extraordinaire ferveur suscitée par la série « Main Kuch Bhi Kar Sakti Hoon » (« Moi, une femme, je peux tout accomplir »), diffusée sur 16 chaînes et déjà vues par 400 millions de téléspectateurs et téléspectatrices. Le magazine Elle rapportait cet été que ce programme de fiction contribue directement au changement des mentalités : « 66 % des téléspectatrices considéraient comme normales les violences domestiques, elles n’étaient plus que 44 % après avoir vu la série. »
Le gentleman rockeur de l’été : Sam Carter
18 août. Biddinghuizen, Pays-Bas. Le Lowland festival bat son plein avec le concert du groupe de metalcore Architects. Soudain, le chanteur, Sam Carter interrompt le show et s’adresse avec vigueur à son public : « J’ai vu une femme, en train d’être portée par la foule. Je ne pointerai pas du doigt la personne mais je t’ai vu attraper son sein. Ce n’est pas ton putain de corps. (…) C’est dégoûtant et ça n’a pas sa place ici » (…) « Va te faire foutre et ne reviens pas. » Tonnerre d’applaudissement dans la salle et big buzz sur les réseaux sociaux puis dans les médias.
Il faut dire que la thématique des agressions sexuelles et sexistes dans le concert a été tout l’été à l’agenda des festivals. Ca a commencé avec la suspension annoncée pour 2018 de celui de Bravalla, en Suède, consécutive au dépôts de 4 plaintes pour viol et 23 plaintes pour agressions sexuelles au cours de la manifestation. De mêmes faits avaient entaché l’édition 2016 du festival Reading au Royaume-Uni, après lesquels 28 festivaliers anglais décidèrent de lancer la campagne #saferspacesatfestivals. Le site tousfestivals.com rapporte aussi des agressions l’année dernière au festival Darmstadt en Allemagne et évoque un véritable phénomène européen… Sur lequel la France jetterait un mouchoir pudique.
Pourtant, le journal en ligne Madmoizelle a recueilli plusieurs témoignages de Françaises victimes de comportements déplacées et d’agressions lors de festivals. Après des réactions de déni au début de l’été, certains festivaliers hexagonaux semblent, sinon admettre complètement que la liberté des femmes à accéder aux mêmes loisirs que les hommes est sournoisement restreinte par un relatif sentiment d’insécurité dans les grandes manifestations musicales, s’ouvrir à des solutions de sensibilisation. Ainsi, en cette fin d’été 2017, Rock en Seine a-t-il confié à l’association En Avant Toutes un stand de prévention.
L’ultimatum de l’été : 1 an pour la féminisation des ComEx allemands
Quoique l’eurodéputée Viviane Reding ne soit à ce jour parvenue à l’imposer à l’échelle de l’Union, le dispositif Copé-Zimmermann fait bel et bien des émules par delà les frontières franco-françaises. L’Allemagne a elle aussi opté, il y a deux ans, pour un quota (de 30%) de femmes dans les conseils d’administration des grandes entreprises. Mais « l’effet cascade » ne se produit pas : les ComEx allemands restent à 93,5% masculins (pour comparaison, c’est 85% en France) !
Katarina Barley, la ministre allemande des familles, qui compte l’égalité femmes/hommes dans son portefeuille d’attributions, a donc lancé un ultimatum au secteur économique du pays : les entreprises ont un an pour faire progresser sérieusement la part des femmes aux commandes. Sans ça, « nous interviendrons par la loi » a-t-elle annoncé. Une menace qui rouvre le débat sur les effets dans le réel de la rhétorique d’une mixité performante supposée convaincre le monde économique d’adopter des mesures volontaires pour accélérer l’égalité professionnelle.
Les dessins de l’été : « L’attente » et « Decribe what you can bring… »
Après l’énorme succès de sa BD sur la charge mentale, l’illustratrice Emma poursuit son fin travail de mise en évidence des subtilités de la répartition des tâches domestiques et de la conciliation des temps de vie avec une planche intitulée « L’attente ». Où l’on observe ce qui se passe quand, dans un couple avec enfant(s), on attribue le matin à l’un.e et le soir à l’autre. Et où l’on comprend vite qu’avoir le soir n’est pas vraiment un avantage : on quitte le boulot sans avoir forcément terminé sa tâche et en se sentant un peu regardé.e de travers, on rate les moments de réseautage en afterwork autour d’un verre avec les collègues et on se cogne en solo le fameux tunnel devoirs-bain-pyjama-coquillettes-brossage-de-dents-histoire-du-soir en attendant que l’autre parent rentre. Et quand il/elle passe (enfin) la porte du foyer, ce n’est pas toujours avec à l’esprit l’urgence de prendre le relais…
Autre dessin qui vaut de longs discours : le cartoon paru dans le canard anglais satirique Private Eye Magazine qui montre une femme passant un entretien de recrutement devant une dizaine de messieurs cravatés… Dont l’un lui pose la question qui tue !
La facture de l’été : une « man tax » au café
Au Handsome Her, café qui a ouvert ses portes à Melbourne le 3 août 2017, vous paierez votre café 18% plus cher si vous êtes un homme. Vous êtes scandalisé.e par cette abominable discrimination qui touche directement au portefeuille (à hauteur de 72 cents, toutefois) ? L’êtes-vous autant par le fait que votre collègue gagne 18% de moins à travail égal ? La gérante du Handsome Her, Belle Ngien, entend, par cette « man tax », conscientiser les consommateurs sur les inégalités salariales. Elle reversera les 18% de marge excédentaire à des associations féministes.
La nouvelle de cette « man tax » a eu tôt fait de créer la polémique, notamment sur les réseaux sociaux où certain.es courageux.ses anonymes ont ouvert les vannes du réservoir à insultes. La propriétaire et la gérante de l’établissement se félicitent cependant d’avoir pu enfin lancer un débat sur les inégalités salariales dans un pays qui, selon elles, aurait tendance à ne pas considérer le sujet.
A certains commentateurs qui auguraient que le bistrot serait totalement déserté par les hommes, Belle Ngien a répondu : « Les hommes ont leurs propres espaces dans lesquels nous ne sommes dans les faits pas admises, alors pourquoi ne pas avoir d’espaces dédiés aux femmes ? ».
On pourrait relancer ici la discussion sur les espaces de non-mixité formels ou informels, mais on se contentera de renvoyer les Cassandre à leur funesterie : non seulement des hommes fréquentent le Handsome Café, mais encore règlent-ils la « man tax » sans broncher et beaucoup témoignent même de leur enthousiasme pour l’initiative. L’adage « men of quality support gender equality » n’a jamais autant été d’actualité qu’à l’heure du café au 206 Sydney Rd, Brunswick.
La star de l’été : Rihanna
Icône de la pop R&B, Rihanna est aussi, depuis septembre 2016, Ambassadrice du partenariat Mondial pour l’Education. Un mandat qui lui permet d’interpeler directement les dirigeant.es du monde entier pour les inciter à prendre des engagements concrets et ambitieux en faveur de l’accès à l’école pour toutes et tous. Et elle ne s’est pas privée de tagguer le président Macron dans un Tweet posté en amont de sa visite à Paris le 26 juillet.
Malgré trop de gloseries sur sa tenue et un bon lot de commentaires déplacés à coloration évidemment sexiste, la rencontre a été un succès : le Président français s’est engagé à verser 3 milliards d’euros pour l’éducation dans le monde en développement. Une somme qui devrait notamment servir aux programmes spécifiquement dédiés à l’instruction des filles, cause chère de Rihanna au sein de la cause globale de l’éducation.
D’ailleurs, une semaine après son passage à Paris, Rihanna annonçait la signature d’un partenariat quinquennal avec l’entreprise chinoise Ofo pour la livraison de vélo aux écolières malawites. La chanteuse a expliqué que disposer d’une bicyclette est essentiel pour des jeunes filles qui ont souvent de longs trajets à effectuer pour rejoindre leur école et que, faute de se sentir en sécurité quand elles sont à pied, nombreuses préfèrent encore y renoncer.
Hommage : Maryam Mirzhakhani, disparue le 14 juillet 2017
Maryam Mirzhani, mathématicienne iranienne, s’est rendue célèbre en août 2014 en devenant la première femme (et à ce jour la seule) à recevoir la prestigieuse Médaille Fields. Experte de la dynamique et la géométrie des surfaces de Riemann, cette scientifique de génie, avait déclaré ne pas s’attendre du tout à recevoir ce prix (et même cru à une farce quand on le lui avait annoncé) et de ce fait, n’était pas préparée à tenir un discours public sur l’égalité des sexes. Elle n’aura donc pas pris la parole sur le thème, mais devint dans les faits un rôle modèle pour l’ensemble des acteurs et actrices de la mixité.
Elle a succombé à un cancer du sein, à l’âge de 40 ans, le 14 juillet 2017. Une vague d’hommages émus a suivi la triste nouvelle de sa disparition. Et la presse de son pays natal a fait pour elle une exception notable : publier des photos de son visage sans voile.
Actualités sélectionnées et présentées par Marie Donzel, pour le webmagazine EVE