Mercredi, c’est… Antoine de Gabrielli !

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La twittosphère le connait sous le pseudo de MCP. Traduire : « Mercredi-C-Papa », du nom de l’association qu’il a co-fondée et dont le site Internet annonce la couleur : « Changer le travail pour réussir l’égalité homme/femme». « Travail, parentalité, égalité », ce pourrait aussi être la devise du groupe d’hommes concernés qu’il ressemble autour de ce projet. Mais qui est-il ? C’est Antoine de Gabrielli, l’homme pour qui la diversité est à la fois une passion, un engagement et un métier. Nous avons voulu faire sa connaissance et l’interroger sur le ressenti des hommes à l’égard des transformations sociétales actuelles.

Rencontre d’un autre genre.

 

 

Programme Eve : Bonjour Antoine de Gabrielli. Vous êtes le co-fondateur de l’association « Mercredi-C-Papa », une association d’hommes particulièrement investis dans les problématiques d’égalité professionnelle, et notamment préoccupés de parentalité partagée. Comment en êtes-vous arrivés à vous intéresser à ces sujets et à créer cette association?

 

Antoine de Gabrielli : Je suis sensibilisé aux questions d’égalité professionnelle, au sens large du terme, d’abord par mon activité : je dirige une entreprise de formation spécialisée dans tous les sujets de la diversité et les grands enjeux managériaux de demain (ndlr : Companieros, fondé par Antoine de Gabrielli et Béatrice de Gourcuff). Je mène donc une réflexion de fond depuis des années sur les sujets de l’égalité professionnelle. Notre grande ambition est de faire aimer ce sujet, de faire comprendre que ce n’est pas un truc de féministes moustachues, un truc légal pénible à mettre en oeuvre, une idée de bureaucrates qui ne connaissent rien au monde de l’entreprise. C’est le contraire de tout ça, l’égalité, c’est un sujet passionnant, qui nous concerne tous, c’est un vrai levier de libération pour les hommes et de justice pour les femmes, c’est un puissant enjeu de management et d’organisation du travail. C’est LA nouvelle frontière RH pour moderniser et rendre plus efficaces les entreprises.

 

 

Programme Eve : Non seulement vous dites que l’égalité n’est pas un sujet « de femmes », mais vous êtes convaincu que l’égalité ne se fera pas sans les hommes…

 

Antoine de Gabrielli : C’est exactement ça. Pas parce que les hommes voudront être sympas avec les femmes, ou parce qu’ils seront culpabilisés de ne pas l’être, mais parce qu’ils y ont intérêt car ils subissent eux aussi les lourdeurs parfois étouffantes d’un système organisé autour de stéréotypes. Ils souffrent eux aussi, directement ou indirectement, des inégalités. Avant de fonder l’association, j’avais démarré une expérience, il y a une douzaine d’années, avec des hommes, des copains, dont je percevais qu’ils avaient besoin d’un dialogue libre sur un certain nombre de difficultés rencontrées dans la vie professionnelle ou privée. Cette liberté de parole ne pouvait être obtenue qu’entre hommes, et il était essentiel qu’une règle de non jugement soit acceptée par tous. Nous nous sommes rapidement rendu compte qu’une majorité d’entre eux s’imposaient, comme condition intrinsèque à leur d’état d’homme ou de père de famille, un même silence sur leurs difficultés : une véritable omertà sociale, professionnelle et jusque dans leur couple. « Je devrais être un winner et je n’y arrive pas… C’est à moi d’assurer le revenu de la famille et je merde… Je ne peux pas en parler au boulot, je ne peux pas parler aux amis, je ne peux pas en parler à ma femme… Je vous en parle à vous, ce soir, parce que je sais que cela ne sortira pas d’ici ». Ces hommes traversent en silence des situations compliquées, douloureuses, avec des stress importants, des angoisses, des épuisements, qui aboutissent parfois à des conflits graves voire irréparables avec leurs compagnes. Les stéréotypes de performance masculine pèsent tellement lourd sur leurs épaules qu’ils les écrasent. Tous pensaient qu’ils devaient garder ça pour eux. Nous avons décidé de nous réunir une fois par mois, entre copains, dans un café, en soirée. Au départ on était une dizaine, et nous sommes rapidement passés à plus de 80 hommes fréquentant régulièrement ce rendez-vous mensuel.

 

Programme Eve : C’est devenu une sorte de groupe de parole?

 

Antoine de Gabrielli : Nous disons « groupe d’échange ». Groupe de parole, ça ne fait pas assez viril (rire). Mais en effet, ça fonctionne comme les groupes de parole : la personne qui l’anime a pour rôle de libérer la parole des autres en mettant en place un climat de confiance. Pour cela, elle peut aborder ses propres échecs, en toute simplicité, et en indulgence, sans porter de jugement, ce qui signifie qu’elle n’a pas l’intention d’en porter sur les autres. On est là pour se parler, se libérer, pas pour se juger. Alors, les hommes parlent et ça vaut le coup de les écouter. Moi, c’est en les écoutant que j’ai acquis la conviction que le chemin de l’égalité pour les femmes était le même que celui de la libération pour les hommes.

 

 

Programme Eve : Oui, mais là, nous parlons d’une population d’hommes qui reconnaissent déjà qu’ils ont des difficultés, acceptent d’en parler et expriment l’envie de se libérer. Beaucoup d’autres sont très loin encore de cette prise de conscience et ne se sentent pas du tout victimes des stéréotypes, au contraire…

 

 

Antoine de Gabrielli : Ce n’est pas tout à fait vrai. Quand on fait des études anonymes, on observe le même besoin d’équilibre chez les hommes que chez les femmes. Tout l’enjeu, c’est de leur permettre d’en parler, et de les impliquer dans la recherche de solutions organisationnelles.

C’est là que se pose l’enjeu de l’exemplarité dans la mise en œuvre des solutions. Si le patron, ou un membre du ComEx, prend le congé paternité, les collaborateurs le feront aussi ; sinon ils craindront d’être stigmatisés. Si le patron ou des cadres dirigeants expérimentent le télétravail, les collaborateurs oseront s’y mettre. Si des hauts managers limitent les horaires de réunion, leurs collaborateurs se sentiront autorisés à en faire autant. Les dirigeants ont un vrai rôle d’exemplarité à jouer. Dans toutes ces questions, on remarque que la gestion du temps est toujours au cœur du problème ; c’est dans une gestion créative du temps de travail que de nombreuses solutions peuvent être trouvées. Il faut libérer le temps, c’est un levier très puissant de l’égalité hommes/femmes.

 

 

Programme Eve : La prise de conscience des stéréotypes est donc essentielle… Chez les hommes et chez les femmes. Diriez-vous qu’il faut ensuite les « déconstruire » ?

 

Antoine de Gabrielli : Les stéréotypes ne sont pas mauvais en eux-mêmes, ils répondent aussi à un besoin d’existence, d’appartenance et de différenciation. On en a besoin, le nier, c’est aussi exercer une violence. On en a besoin, mais cela peut être enfermant. Donc, ce n’est pas tant la nature des stéréotypes que leur poids et le fait qu’ils soient subis qui pose problème. Les femmes portent ellesnaussi des stratégies inconscientes de contrôle du foyer, alors que ce n’est pas que ce qu’elles souhaitent, alors qu’elles disent, et on les croit, qu’elles ont envie de travailler, de se libérer des contraintes de la vie de famille.

 

 

Programme EVE : Je dirais que ça a à voir avec un sentiment de culpabilité très ancré… Les pères ne le ressentent pas ?

 

Antoine de Gabrielli : Je crois que chez les hommes, l’enfermement dans des stéréotypes est à rapprocher d’autre chose, d’un schéma vieux comme le monde dont ils ont du mal à se défaire. J’ai notamment pu observer que, autour de moi, les couples qui réussissaient le mieux l’égalité et l’équilibre, étaient ceux qui avaient mis à distance, au moins pendant un temps, parents et beaux-parents. J’ai souvent vu ça chez des expatriés, qui avaient pu construire leur vie à des milliers de kilomètres de leurs familles respectives.

 

 

 

Mercredi-C-Papa

Programme EVE : Revenons à la création de l’association. Avant de digresser sur le poids des stéréotypes, nous en étions restés à la constitution d’un « groupe d’échange » informel. A quel moment avez-vous décidé d’institutionnaliser tout ça en déposant les statuts de « Mercredi-c-papa » en préfecture ?

 

Antoine de Gabrielli : Au moment où en parler ne nous suffisait plus. On avait envie d’écrire sur tout ça et aussi d’agir. On s’est dit : il faut monter une asso ! J’ai proposé l’idée et j’ai eu 10 réponses dans l’heure. Le lendemain, on était une cinquantaine. Et on s’est mis au travail.

 

 

Programme EVE : De quelle façon ?

 

 

 

Antoine de Gabrielli : En écrivant, pour commencer. Par exemple, sur un sujet peu connu : le plancher de verre ! On connait le plafond de verre pour les femmes qui ne parviennent pas à accéder aux hautes responsabilités mais on est peu informé sur le plancher de verre qui empêche les hommes de pouvoir assumer socialement une vie moins compétitive, moins ambitieuse, plus équilibrée. Armelle Carminati dit qu’il est impossible pour un homme de dire « Pouce ! ».

C’est exactement ça. Pour un homme, il n’y a rien entre winner et loser. C’est épuisant de devoir toujours être le meilleur parce qu’on ne peut rien être d’autre à la place.

Nous avons également souhaité intervenir dans le débat public sous forme de lettres ouvertes à des personnalités politiques. Nous avons écrit à Martine Aubry, au moment des primaires, pour lui dire que le volet du programme du PS sur l’égalité hommes/femmes nous paraissait un peu convenu et qu’on pouvait faire mieux, sans nécessairement être plus coercitifs. Tout notre discours, à nous, c’est de faire aimer le sujet de l’égalité hommes/femmes, d’aider à comprendre qu’il propose un formidable levier de modernisation sociale et économique… Même si la loi est indispensable pour rappeler les obligations de chacun.

Ensuite, pendant la campagne présidentielle, nous avons écrit une lettre ouverte aux candidats pour leur demander d’envisager un Grenelle de l’égalité hommes/femmes, de prévoir un grand espace de dialogue et de concertation avec tous les acteurs concernés : les entreprises, les syndicats, les acteurs politiques et administratifs, les associations, le monde de l’éducation et de l’enseignement supérieur, celui de la culture, du sport, des medias, etc.

 

 

Programme EVE : Avez-vous reçu des réponses à ces lettres ouvertes ?

 

Antoine de Gabrielli : Non. Mais très sincèrement, on n’en attendait pas vraiment, c’était un exercice de formalisation de nos réflexions : les candidats avaient, je crois, autre chose à faire au moment où nous avons publiés ces lettres ouvertes.

 

 

Programme EVE : Que prépare maintenant « Mercredi-c-papa » ?

 

 

Antoine de Gabrielli : Ah ! Nous sommes sur un projet très stimulant, qui s’appelle « Engage Men ». C’est un projet qui a vocation à amener les hommes à prendre un engagement simple de progrès pour l’égalité hommes/femmes. C’est à eux de choisir lequel : ça peut être rentrer une demi-heure plus tôt du bureau, ne plus faire de blagues sexistes, traquer les messages sexistes dans les publicités, mais aussi de prendre en charge des tâches domestiques supplémentaires… Il y a une foultitude de « petits pas » possibles etc. On aimerait que ces « petits pas pour les hommes, grand pas pour l’égalité » soient suggérés par les hommes eux-mêmes, mais aussi par les femmes et les enfants et qu’ils concernent autant la vie privée que la vie professionnelle.

On va aussi mettre en place un système de « grand témoin » : l’idée, c’est que chaque homme qui aura pris un engagement dans le cadre de « Engage Men » ait une femme « grand témoin » qui vérifiera, amicalement, la réalisation effective de l’engagement pris sur une période d’un an. A partir de là, on peut imaginer plein de choses, un palmarès des engagements les plus intéressants, les plus drôles, les plus populaires, des événements « Engage Men » etc.

 

Programme EVE : On va suivre ça de près. Faites nous signe si vous avez besoin de grands témoins !

 

 

 

Propos recueillis par Marie Donzel

avec la complicité de Catherine Thibaux (dite « Cathalapointe » sur Twitter et qui connaissait sans le savoir Antoine de Gabrielli dit « MCP » sur le même réseau social)