Entretien avec Virginie Chapron-du Jeu
Virginie Chapron-du Jeu est Directrice des Finances du Groupe Caisse des Dépôts, membre du Comité de Direction. Elle est également membre du Comité Opérationnel du Réseau Alter Egales et Secrétaire Générale de la Fédération Financi’Elles.
La rédaction du webmagazine EVE est allée à sa rencontre pour recueillir son point de vue sur les enjeux de la mixité en entreprise.
Bonjour Virginie, comment se sont forgés votre parcours et vos convictions sur la mixité ?
Virginie Chapron-du Jeu : Après mes études (à Dauphine et Sciences Po), j’ai souhaité entrer dans la finance. J’ai découvert un milieu plutôt masculin, et il faut bien le dire assez machiste, en particulier sur les marchés financiers. Or il était important pour moi de progresser dans une organisation dont les rythmes et les horaires nécessitent une certaine flexibilité. J’ai pris conscience rapidement avec l’arrivée de mes enfants qu’un conjoint compréhensif et une bonne nounou font partie des clés d’une réussite équilibrée.
Etre bien entourée, et pouvoir notamment compter sur la confiance de mon entourage m’a permis de prendre plus facilement des responsabilités et de progresser régulièrement sur des postes de management.
J’ai eu des expériences formidables, en encadrant notamment des équipes très mixtes (femmes/hommes, statuts, âge…) et j’ai éprouvé concrètement la force du collectif équilibré : le véritable esprit d’équipe se révèle dans la diversité des parcours et des profils, et c’est une source étonnante de créativité et de dynamisme. Le manager a un véritable rôle à jouer pour préserver cet équilibre et en faire un terrain d’épanouissement pour tous.
Pourquoi c’est particulièrement important à vos yeux que les femmes prennent des positions visibles de leadership, telles que des mandats d’administratrice?
Virginie Chapron-du Jeu : Accéder à des postes plus visibles de management c’est avoir la possibilité de plus compter dans les décisions et d’améliorer sa capacité à promouvoir des projets et faire valoir ses convictions. C’est aussi plus facile de donner de la visibilité à des questions qui ont pu être laissées de côté. C’est encore proposer d’autres façons de fonctionner ou de travailler. Il est essentiel que les femmes se convainquent qu’elles peuvent agir… Et pour cela, les positions de leadership sont une formidable opportunité d’action.
Pour ce qui concerne l’accès des femmes aux fonctions d’administratrices, depuis 5 ans, la Caisse des Dépôts a pris l’engagement, notamment grâce au soutien d’Anne de Blignières, Présidente de notre réseau Alter Egales, de féminiser les conseils d’administration. Dans ce cadre, il m’a été proposé des mandats d’administratrice. Là encore l’expérience est passionnante car elle donne un champ nouveau de compétences, de décisions et d’actions à un niveau stratégique. Elle vous permet non seulement une compréhension meilleure de l’entreprise mais aussi d’acquérir une posture.
Pour vous, quels sont les leviers à actionner pour permettre aux femmes d’accéder aux positions de leadership ?
Virginie Chapron-du Jeu : La gestion de la parentalité au travail reste à mes yeux toujours un sujet même si il y certainement des progrès qui ont été faits au niveau des entreprises et de la société. Je vais insister sur un point : je pense qu’il y a une attention toute particulière à porter aux mères au moment de l’arrivée du premier enfant. Le décrochage peut se faire à ce moment-là, quand les bouleversements personnels et une foule de problématiques d’organisation surgissent. C’est aussi à ce moment que les stéréotypes et les assignations peuvent rattraper. Après, pour le 2è, et éventuellement les suivants, il me semble que les marques ont généralement été reprises et son modèle d’articulation vie privée/vie professionnelle a été trouvé… Mais il reste difficile de rattraper du décrochage.
Les mesures d’accompagnement à la parentalité sont utiles et doivent être renforcées pour que chacun.e puisse vivre sa vie de mère ou père tout en travaillant ; mais il faut aussi accompagner les femmes elles-mêmes, dans ce moment de leur vie professionnelle où il ne faut pas leur parler que de solutions de garde ou d’aménagement du temps de travail, mais aussi d’ambition, de perspectives d’évolution, de nouveaux challenges…
Quels conseils donneriez-vous à des femmes qui aspirent à prendre des responsabilités ?
Virginie Chapron du Jeu : L’exercice de donner des conseils aux femmes est toujours un peu glissant : vous pouvez vite être dans l’injonction et vous pouvez aussi être tenté.e de projeter vos propres ambitions sur d’autres. J’ai tendance à penser qu’il faut avant tout écouter les femmes, prendre le temps d’entendre ce qu’elles ont à dire de leurs aspirations mais aussi des freins qu’elles ressentent. On peut alors s’appuyer sur ce qu’elles expriment pour préciser leur projet, identifier avec elles des voies pour le concrétiser à leur façon, trouver des solutions pour faire sauter les obstacles…
En face, il faut une politique de mixité qui donne des garanties : d’un égal accès aux promotions et aux postes à pourvoir et d’équité dans les processus.
Vous êtes engagée dans deux réseaux mixité, Alter Egales, le réseau du groupe Caisse des dépôts, et Financi’Elles, la fédération des réseaux mixité de la banque finance, assurance, dont vous êtes secrétaire générale. Pour vous, quel est le rôle des réseaux ?
Virginie Chapron du Jeu : Le réseau est par définition ce qui vous permet de toucher, par rebonds, des personnes que vous ne connaitriez pas alors même qu’elles partagent des sensibilités et/ou des convictions avec vous. C’est un vrai facteur d’élargissement de l’horizon en même temps que de solidarité. C’est pour cela que dans un réseau qui fonctionne bien, un climat de bienveillance permet d’aller plus loin dans la confrontation des idées et des points de vue.
Plus concrètement, le réseau est un vrai centre de ressources pour progresser en s’inspirant des retours d’expérience et de bonnes pratiques des autres. On y trouve aussi du ressourcement : dans les moments de découragement, d’essoufflement, d’impatience, il est essentiel de partager.
Enfin, je vois le réseau comme une véritable institution en ce qu’il porte des valeurs et permet de faire avancer des idées et des projets avec cohérence.
Propos recueillis par Marie Donzel, pour le webmagazine EVE
Comments 1
Merci pour cet entretien très intéressant. C’est encourageant de voir des femmes à des postes de responsabilité utiliser d’autres outils pour parvenir à un monde professionnel plus équilibré et harmonieux, où chacun a sa place.