L’imaginaire collectif attribue à la mixité de nombreux effets sur le fonctionnement du collectif. On entend souvent dire que la participation des femmes à des environnements traditionnellement masculins rendrait l’atmosphère plus écoutante, plus conciliante, voire plus pacifiée. On a parallèlement l’intuition que les « ambiances de filles » gagneraient à la présence d’hommes pour rationaliser les relations et faire diversion aux rivalités féminines… Nos stéréotypes essentialistes ne sont pas étrangers à ces faisceaux d’attente à l’égard de la mixité. Mais qu’en est-il exactement ? Est-ce que les échanges prennent réellement une autre tournure quand femmes et hommes jouent dans la même cour ?
Quand femmes et hommes courent après la même médaille
Des chercheurs et chercheuses de l’université nationale australienne, de l’université Seinan Gakuin au Japon et du centre IZA de recherche économique en Allemagne ont voulu en avoir le cœur net.
Ils ont étudié les comportements compétitifs des femmes et des hommes selon qu’ils se confrontent à des challengers de même sexe ou des deux sexes. Pour terrain de cette étude, ils ont choisi un sport ultra-populaire au Japon : le jetski, et son concours le plus couru, la course Kyotei. La particularité de ce défi sportif, appelant une excellente condition physique, un bon mental et un entraînement intensif, est d’être mixte : femmes (qui comptent pour 13% des pratiquant.es) et hommes visent ensemble la même médaille !
Femmes plus compétitives entre elles, hommes plus agressifs avec les femmes qui les challengent
Les chercheurs et chercheuses ont observé les stratégies et les procédés des individus en tête de course, là où la concurrence est la plus aigüe. Où il est apparu que lorsque les hommes sont rivaux entre eux, ils sont nettement moins agressifs que lorsqu’ils sont défiés par une ou plusieurs adversaires féminines. Leur compétitivité accrue par la présence d’une ou plusieurs femmes parmi leurs adversaires les plus menaçant.es les pousse même davantage à enfreindre les règles du jeu, jusqu’à prendre le risque de la faute sanction voire de la disqualification.
Du côté des femmes, on constate qu’elles se montrent à l’inverse beaucoup plus compétitives entre elles que lorsqu’elles se confrontent à des hommes. Jusqu’à courir en dessous de leur potentiel de performance, quand elles sont en lice pour la victoire aux côtés de concurrents masculins.
Le plafond de verre crée un « entre-soi » subi des femmes, favorisant l’orientation de l’agressivité vers leurs congénères plutôt que vers les hommes
Pour les auteur.es de l’étude, ces observations sont transposables dans d’autres univers que le sport, et sont notamment pertinentes pour analyser les effets de la mixité sur les comportements en contexte de concurrence ou compétitivité professionnelle. L’hypothèse qu’ils formulent, c’est que les assignations culturelles à la masculinité et à la féminité rendent la victoire d’une femme sur un homme moins tolérable que la victoire d’un homme sur un homme.
Quant au fait que les femmes se montrent plus agressives entre elles qu’avec les hommes, ce ne serait pas, comme on le pense parfois, une expression du Syndrome de la Reine des Abeilles (lequel, pour le dire brièvement, pose que « les femmes de pouvoir sont de sacrées peaux de vache avec les autres femmes ») mais le résultat d’une prédiction intégrée de leur échec en situation de mixité qui restreint l’espace d’exercice de leur compétitivité aux relations femmes/femmes. En d’autres termes, le plafond de verre crée une sorte de « crise du logement » dans les champs trop étroits où se massent de fait les femmes, provoquant des phénomènes d’agressivité interne dans un entre-soi subi.
A nouveaux/nouvelles joueurs et joueuses autour de la table, nouvelles règles du jeu?
Ces travaux aux résultats contre-intuitifs, mettant notamment à mal l’idée traditionnelle que la compétitivité est une « qualité » virile (quand il apparait que ce sont davantage les situations – que le sexe des protagonistes – qui en sont le déclencheur et le carburant) mais aussi les discours d’angélisme sur les vertus de la mixité pour l’égalité femmes/hommes d’une part et la qualité du relationnel collectif d’autre part, ne sauraient cependant constituer un motif de renoncement à l’objectif de partage des responsabilités.
Ils invitent au contraire à penser la transformation des règles du jeu quand de nouveaux/nouvelles entrant.es prennent place autour de la table. Redéfinir la compétition, ses règles, ses pratiques et même ses objectifs ; repenser la performance, ses critères, ses voies, ses méthodes d’évaluation ; réinterroger la réussite, ses moyens, ses manifestations et récompenses, son articulation entre le projet individuel et le projet collectif, sont autant de nécessités pour faire de la mixité un réel facteur d’inclusion. Inclusion qui se définit comme la mise en place d’un contexte permettant à chacun.e de faire valoir qui il/elle est pour donner le meilleur de soi dans un collectif.
Marie Donzel, pour le webmagazine EVE