Rencontre avec Alexia Penent, directrice du développement des organisations pour le siège du groupe de 2009 à 2012.
Quelques mois après sa mise en oeuvre, l’expérience du télétravail chez Danone présente déjà un premier bilan très concluant : 40% des collaborateurs du siège y ont recours, tous métiers et tous niveaux de hiérarchie confondus, et les gains en terme de bien-être des individus et d’efficacité des équipes sont manifestes. Nous avons voulu en savoir plus sur les coulisses de la mise en place de ce dispositif innovant. Pour cela, nous avons rencontré Alexia Penent, directrice du développement des organisations de 2009 à 2012, qui a élaboré le projet et en a évalué les résultats.
Programme EVE : Bonjour. Jusqu’il y a un mois, vous étiez directrice du développement des organisations pour siège de Danone. En quoi ce métier consiste-t-il?
Alexia Penent : Cela consiste à accompagner une population, en l’occurrence les salariés du siège de Danone, sur des sujets de transformation. Changements dans l’organisation du travail, évolution des métiers, des mentalités et des comportements associés. Ca va de la définition d’une ambition jusqu’à l’implémentation et l’analyse des résultats par rapport aux objectifs. C’est une sorte de conseil internalisé.
Programme EVE : C’est dans ce cadre que vous vous êtes penchée sur la question du télétravail…
Alexia Penent : Au départ, en réalité, j’ai travaillé sur un plan d’action beaucoup plus large autour du bien-être et de l’efficacité dans les organisations. Il s’agissait d’établir une stratégie globale pour accompagner la population du siège face à cette question de santé et de bien-être au travail. Parmi les différents leviers activé, le télétravail a été choise pour la souplesse organisationnelle qu’il offre. En effet, un facteur important du stress, c’est la difficulté à être maître de son organisation professionnelle (impression de « subir » son agenda) ainsi que la difficulté à articuler sereinement vie professionnelle et vie privée.
De plus, le stress est une souffrance très poreuse dans la vie des individus : on ne le laisse pas à la porte de son bureau quand on rentre chez soi et on ne s’en extrait pas quand on est occupé à ses tâches professionnelles. Par exemple, si on a un gros travail à effectuer dans une journée et un enfant à conduire chez le pédiatre à 17 heures, on est stressé par les deux choses, en même temps, la souffrance provient du tiraillement et de l’angoisse de n’être à l’heure ni pour l’un ni pour l’autre, de n’assurer d’aucun des deux côtés…
Programme EVE : Beaucoup de femmes évoquent en effet ce sentiment d’en faire énormément, autant dans leur travail que dans la vie de famille et de ne jamais réussir à tout faire bien…
Alexia Penent : Oui, mais soyons très clairs : nous avons délibérément refusé de faire du télétravail un sujet de femmes. C’est un sujet de société, de bien-être collectif, qui concerne tous les acteurs. C’est pourquoi chez Danone, nous l’avons conçu pour tous, hommes et femmes, jeunes et seniors, cadres et non cadres, et nous avons été vigilants au moment de la mise en place effective du télétravail à ce que ce ne soit pas de fait une option réservée aux femmes.
Programme EVE : Parlons justement de la façon dont s’est concrètement mis en place le télétravail chez Danone…
Alexia Penent : Le cadre général du télétravail en France est assez flou, il relève essentiellement de la jurisprudence. Nous partions donc de pas grand chose, il fallait inventer une manière de faire. Chez Danone, la tradition est de pratiquer la stratégie du pilote : on teste un dispositif sur une petite population, on tire des enseignements et ensuite on étend à l’ensemble des collaborateurs. Nous avons donc commencé par expérimenter le télétravail avec une petite équipe, plutôt masculine d’ailleurs, qui était demandeuse. Avec cette équipe, nous avons pu nous poser des questions d’organisation concrète du télétravail : les premiers télétravailleurs ont exprimé le souhait fort que l’ajustement des conditions du télétravail se fasse au niveau de l’équipe, dans la concertation et le respect du collectif. Ils ont également fait remarquer qu’un jour de télétravail par semaine, voire un jour tous les 15 jours était le bon rythme, alors qu’on avait pensé à un moment poser comme cadre 2 jours maximum/semaine. Finalement, on a donc choisi, dans l’accord, de s’en tenir à une journée hebdomadaire. Il a aussi été décidé que cette journée serait fluctuante, pour bien répondre à la logique de souplesse individuelle, tout en respectant le cadre collectif que chaque équipe s’est définie en fonction de son métier. Cela a permis d’écarter les spectres du 4/5è déguisé ou des week-ends prolongés par le « télétravail du vendredi » et de bien remettre les choses à leur place : le télétravail, ce n’est pas du off, ce n’est pas des journées enfant malade et surtout, ce n’est pas un acquis. C’est une soupape d’organisation individuelle dans un contexte collectif.
Programme EVE : Marc Grosser, directeur des affaires sociales et de la responsabilité sociétale nous disait récemment que le télétravail a aussi pour but de favoriser la prise de recul et la réflexion de chacun par rapport à ses missions…
Alexia Penent : En effet, chez Danone, nous travaillons en open space. Ca a des avantages, la fluidité de l’information, la transparence… Mais ça aussi des inconvénients. Le tout premier, c’est que ça conforte la culture de la disponibilité. Il est donc difficile d’y dégager du temps long pour se concentrer sur des sujets à enjeux ou très analytiques. Le télétravail permet de se mettre au calme pour ce genre de tâches. Il est aussi parfaitement compatible avec des activités déjà dématérialisées, comme par exemple, les conf-calls avec des interlocuteurs à l’étranger.
Mais attention, il n’est pas là pour permettre les horaires décalés, ce n’est pas un dispositif de restructuration du temps de travail. La personne en télétravail est connectée, prend ses appels, répond à ses mails, réagit aux urgences. Et elle a aussi le droit d’ouvrir à un agent EDF qui vient relever les compteurs, d’attendre la livraison d’un appareil électroménager et peut aller à un rendez-vous chez un médecin ou chez le pédiatre de ses enfants, en dehors de heures de travail, sans avoir à courir ni se stresser dans les transports puisqu’elle est déjà quasiment sur place.
Ca n’a pas été affiché frontalement, mais on a expliqué aux gens que le télétravail pouvait les aider aussi de cette façon-là : c’est aussi un stress en moins que de savoir qu’il y a une solution toute simple pour régler les tout petits problèmes de la vie courante sans perdre du temps ni prendre du retard dans son travail.
Programme EVE : Pour évaluer les premiers résultats de la mise en place du télétravail chez Danone, vous avez récemment mené une enquête quantitative et qualitative auprès des collaborateurs. Qu’en ressort-il?
Alexia Penent : Un chiffre magique : 40%! Nous avons 40% des personnes du siège qui pratiquent le télétravail, dont 38% de non-cadres , 43% de managers et 38% de directeurs, 40% de femmes, 42% d’hommes. Ensuite, il en ressort que les grands fantômes du télétravail n’ont pas fait long feu. Certains encadrants craignaient le désinvestissement de certains membres de leurs équipes, c’est le contraire qui s’est produit : les collaborateurs voient un tel avantage dans cette formule de télétravail qu’ils sont irréprochables dans son utilisation. On disait que les femmes en feraient davantage usage que les hommes, les chiffres parlent d’eux-mêmes, même s’il est vrai que les femmes pratiquent le télétravail de façon plus régulière que les hommes. Elles semblent l’avoir intégré dans leur organisation, quand les hommes y font appel plus ponctuellement.
Programme EVE : Quels sont les bénéfices pour le salarié et pour l’organisation?
Alexia Penent : Le premier des bénéfices pour les collaborateurs, c’est la réduction des temps de trajet, pour 78% des personnes interrogées. Et c’est un point important parce qu’il a à voir avec l’égalité : je ne vous apprendrai rien en vous disant que les non-cadres ne passent pas le même temps dans les transports que les dirigeants qui pour certains habitent à un quart d’heure à pied du bureau quand d’autres sont à une heure et demie ou deux heures du lieu de travail. Qui dit moins de trajet dit aussi moins de fatigue. Donc plus d’efficacité : 87% des personnes interrogées perçoivent le télétravail comme un levier d’efficacité. Enfin, ils sont 74% à dire que la flexibilité offerte par le télétravail est bénéfique à leur équilibre vie professionnelle/vie privée. Ce qu’on constate aussi de très enthousiasmant, c’est qu’après une journée de télétravail, les collaborateurs sont heureux de revenir au bureau, de fréquenter leurs collègues, de partager l’espace de travail avec eux. Le télétravail redonne donc également de l’énergie et reforce l’envie de travailler en équipe. Formidable, non ?
Propos recueillis par Marie Donzel
Comments 2
Ce qui me va droit au coeur et me parait un vrai signe de changement, ce sont les 42% d’hommes et 38% de directeurs qui ont adhéré. Et chez vous, comment cela se passe?
Pingback: L'expérience du télétravai...