Christine Albanel a été conseillère de Jacques Chirac, Présidente de l’Etablissement Public du musée et domaine national de Versailles et Ministre de la Culture et de la Communication. Elle est aujourd’hui directrice exécutive d’Orange, en charge de la responsabilité sociale d’entreprise, de la diversité, des partenariats et de la solidarité. Christine Albanel est également présidente déléguée de la Fondation Orange.
La rédaction du webmagazine EVE est allée à la rencontre de cette éminente leader qui exprime de fortes convictions sur le besoin de mixité et sur la nécessité de se donner de vrais moyens pour en faire une réalité.
Bonjour. Vous avez connu l’époque, encore très récente, où rares étaient les femmes « en vue ». On constate qu’elles sont encore insuffisamment nombreuses à accéder aux très hautes responsabilités. Comment expliquez-vous que le plafond de verre soit encore si difficile à faire éclater ?
Christine Albanel : J’ai personnellement eu la chance de contourner le plafond de verre, en devenant très tôt dans ma vie une proche collaboratrice de Jacques Chirac. Etre dans l’entourage immédiat d’une personnalité de premier plan est un moteur puissant dans les premières étapes de la vie professionnelle. Cela vous oblige à être très rapidement performante et ça vous permet en même temps de faire savoir que vous l’êtes.
Le plus difficile, c’est de sortir de l’anonymat. Ensuite, une fois que vous êtes visible, les choses s’enchaînent, les opportunités se présentent et c’est sur ce que vous faites que l’on vous juge.
La majorité des femmes n’ont pas cette chance. C’est ce qui fait que même dans des secteurs très féminisés, comme l’éducation, la culture ou la santé, on ne les retrouve pas au sommet. Cette rareté des femmes en situation de leadership, associée à la perpétuation des stéréotypes, explique que les femmes intériorisent beaucoup de freins et s’autocensurent.
Comment convaincre les femmes de ne pas s’autocensurer ?
Christine Albanel : Qu’elles sachent d’abord que les hommes aux responsabilités sont à priori ni plus ni moins compétents qu’elles. Je donne volontiers raison à Françoise Giroud quand elle dit que la femme sera l’égale de l’homme quand on désignera une incompétente à un poste important. J’ai parfois vu des hommes se porter candidats à des postes ou des mandats sans même savoir à quoi ils postulaient !
Sans aller jusque là, je crois qu’il faut oser se projeter dans le moins familier, en se faisant confiance pour y arriver. Pour cela, il faut que les femmes rompent avec le contrat de perfectionnisme qu’elles ont passé avec elles-mêmes… Et qu’elles se libèrent aussi de certaines idées fausses sur le réseautage, l’intelligence politique ou le goût du pouvoir. Avoir de l’ambition et se donner les moyens d’atteindre ses objectifs, ce n’est pas vendre son âme.
Estimez-vous que le discours qui articule mixité et performance est efficace pour stimuler l’ambition des femmes et la faire mieux accepter dans le monde professionnel ?
Christine Albanel : Faire le lien entre mixité et performance c’est rappeler des fondamentaux de la relation humaine en général et du travail en équipe en particulier : plus il y a de diversité de parcours, d’expériences, de points de vue, plus il y a de curiosité et d’ouverture.
La diversité permet une compréhension plus fine des situations et ouvre sur des réponses plus pertinentes et plus innovantes. On voit cependant des contre-exemples de réussite sans mixité, comme certaines start-ups en pleine croissance de la Silicon Valley où l’on ne croise que de grands ados en tee-shirt gris et bermudas tire-bouchonnés ! Mais ça n’a qu’un temps. Regardez comme Mark Zuckerberg a parfaitement compris que pour faire grandir Facebook, il ne pourrait se passer de diversité. La mixité est à la fois le moyen et le signe de la montée en maturité d’une organisation.
Pensez-vous que la transformation digitale peut être une opportunité pour les femmes et partant, un accélérateur de la mixité ?
Christine Albanel : Je suis sûre que les femmes vont réussir dans l’univers qui se dessine. Longtemps, le pouvoir a été bien gardé par ceux qui le détenaient car il reposait principalement sur la rétention de l’information. Aujourd’hui, garder ses petits secrets entre soi est non seulement devenu quasiment impossible mais surtout complètement passéiste.
Le leadership d’avenir procède précisément de la capacité à transmettre, à partager, à donner aux autres les moyens de participer.
C’est une double chance pour les femmes, parce que d’une part elles peuvent accéder à de l’information qui était autrefois privatisée par des cercles de pouvoir (majoritairement masculins) et parce que d’autre part, le modèle de management collaboratif qui fera la performance à compter de maintenant semble plutôt bien leur convenir.
Néanmoins, ces nouvelles opportunités que vous évoquez sont étroitement liées à l’accès au digital. Or, on sait qu’à l’échelle planétaire, la carte de l’exclusion numérique se superpose à celle du déficit d’intégration économique des femmes. N’y a-t-il pas là un défi urgent ?
Christine Albanel : La chance que représente la digitalisation pour les femmes est effectivement conditionnée à leur plein accès aux outils, aux usages et à la culture numérique. Il y a un bien là un défi urgent qui appelle une mobilisation générale.
Orange est très investi : notre opération SuperCodeurs à l’intention des élèves de primaire et des collégiens porte un accent tout particulier à l’éducation au numérique des filles dans 17 pays cette année ; l’association Capital Filles qu’Orange à créée et que Stéphane Richard préside œuvre au quotidien à l’insertion professionnelle de lycéennes dans tous secteurs, dont ceux des nouvelles technologies ; les Maisons Digitales de la Fondation Orange, il en existe une centaine, sont totalement dédiées à l’autonomisation des femmes par le numérique pour leur inclusion professionnelle.
L’entreprise a sa carte à jouer pour l’insertion de toutes et tous par ce levier qu’est le numérique, mais elle ne peut pas être seule. Il faut un mouvement général impliquant le monde de l’éducation, les pouvoirs publics et les infrastructures, les associations et ONG, les médias…
Propos recueillis par Marie Donzel, pour le webmagazine EVE, avec la complicité de Christelle Cloarec, pour Orange.