Un concept à la loupe : du syndrome de May Day au complexe de Médée, en passant par la falaise de verre

Eve, Le Blog Egalité professionnelle, Leadership

Juillet 2016 : au lendemain du Brexit qui a conduit à la démission de David Cameron , Theresa May est nommée Première Ministre du Royaume Uni. Tandis que la majorité des commentateurs et commentatrices saluent l’accession d’une seconde femme (après Margaret Thatcher) à ce poste, d’aucun.es saisissent l’occasion de son entrée en fonction pour interroger les conditions de cette nomination, en jouant deux fois sur les mots : on évoque le « syndrome de May Day » et, par glissement, le « complexe de Médée ».

Mais que cachent ces deux notions et que dit leur irruption dans les discours à l’heure où une femme prend de très hautes responsabilités, en contexte de crise majeure ? Décryptage par le webzine EVE.

 

Mayday ! Le navire chavire …

 

May Day est un terme appartenant au lexique des télécommunications marine. Trois fois répété sur les ondes par l’équipage d’un navire, c’est le signal de détresse maximale réservé aux catastrophes graves et imminentes, appelant toutes affaires cessantes la mise en oeuvre d’un plan catastrophe.

Par extension, on parle de May Day Syndrom quand souffle un vent de panique et que l’heure n’est plus au pilotage des situations, mais au sauvetage de ce qui peut encore l’être (peut-être) ! Bref, c’est super(wo)man qu’on appelle à la rescousse !

 

« Rien de tel qu’une femme pour faire le ménage » ?

La facilité avec laquelle le parti conservateur britannique a propulsé Theresa May à sa tête puis, dans les faits, au 10 Downing Street, et cela en dépit d’une campagne interne fortement marqué par les attaques sexistes, n’a pas tant déconcerté tant que ça certain.es observateurs/observatrices.

 

A commencer par l’ancienne Première ministre islandaise, Jóhanna Sigurðardóttir, qui a commenté l’accession au pouvoir de Theresa May d’un résigné et peut-être ironique « les femmes sont là pour faire le ménage une fois que les hommes ont semé le désordre ».

La femme politique islandaise a ajouté que « le monde serait bien meilleur » si les femmes passaient plus souvent après les hommes, pour rétablir l’équilibre après le chaos. Cette ultime précision de sa pensée a fait grincer des dents : la supposition essentialiste contenue dans l’idée que les hommes sont incurablement souillons et les femmes ont le sens de la serpillère dans leur ADN a fait bondir plus d’un.e combattant.e des stéréotypes sexistes. Quant au propos assignant les femmes à venir en « suivantes » des hommes, seulement une fois que ceux-ci ont échoué, il aura carrément hérissé le poil des penseurs et penseuses d’un leadership féminin légitime en soi, et non second dans l’ordre des préférences pour le choix du chef!

 

Après le plafond de verre, la falaise de verre

Pourtant, le discours de Jóhanna Sigurðardóttir, vient directement faire écho aux travaux des chercheurs et chercheuses en psychologie organisationnelle, Michelle Ryan et Alexander Haslam, qui ont étudié les comportements de recrutement des dirigeant.es de grandes entreprises confrontées à des difficultés majeures.

Leurs travaux les ont amené.es à constater une tendance à nommer plus facilement des femmes à des postes à hautes responsabilités en période critique. Observation confirmée quand Mary Barra (General Motors), Carly Fiorina (Hewlett-Packard) ou Marissa Mayer (Yahoo!) sont devenues PDG alors que leurs entreprises traversaient de graves crises.

 

Une double raison à ce phénomène. La première rejoint l’impression archétypale que, face à une situation de crise, les qualités dites « naturelles » des femmes (sens de l’organisation, prudence, esprit de conciliation, relationnel empathique etc.) sont toutes trouvées pour sortir du marasme ; la seconde procéderait d’une stratégie des hommes en position de prendre le leadership mais qui préfèreraient passer leur tour en attendant des jours meilleurs, laissant ainsi davantage de places aux femmes.

Le problème, disent ces universitaires, c’est que prendre le pouvoir en situation de crise, c’est pour le moins casse-g*** : on fait certes sauter le plafond de verre, mais on se retrouve sur les pentes glissantes d’une falaise de verre. Peu de moyens, peu de soutiens, peu d’aspérités pour ancrer ses bicoins et beaucoup de turbulences dans l’atmosphère ne rendent assurément pas aisée l’escalade du mont leadership et en cas de dévissage, blessures sévères à prévoir.

De Mayday à Médée : une démonstration programmée des dérives du leadership des femmes ?

Car les théoricien.nes de la « falaise de verre » estiment que cette tentation de placer plus volontiers des femmes aux responsabilités par gros temps ne les expose pas seulement à un risque accru d’échec, mais peut en faire d’ « excellents bouc-émissaires ».

Ils notent en effet que, confrontées à des challenges exceptionnels et fortement attendues sur les résultats de leur mission salvatrice, les « femmes de crise » vont payer particulièrement cher les décisions les plus fermes qu’elles seront amenées à prendre. Décevant l’espoir qu’on a placé en elle d’un leadership « féminin », présumé plus doux et empathique que le leadership « masculin », elles sont renvoyées au « complexe de Médée » aussitôt qu’elles témoignent d’une certaine dureté.

Trouvant racine dans la mythologie grecque qui voit Médée semer la mort sur sa route d’abord pour protéger les arrières de Jason dans sa course à la Toison d’Or, puis pour se venger de lui quand il la trahit, ce complexe convoque l’imagerie d’un féminin cruel qui entretiendrait des relations perverses et sacrificielles au pouvoir, tantôt en se mettant trop passionnément au service des hommes tantôt en se retournant très durement contre eux.

De l’antique et tragique légende, on retiendra la symbolique d’une femme providentielle aux pouvoirs extraordinaires (car c’est bien ainsi que Jason la voit et pour cela qu’il la veut) vouée à se perdre dans l’exercice de sa puissance. Si le mythe est délibérément excessif — n’est-ce pas son rôle d’exagérer le trait jusqu’au paroxysme pour mettre en exergue la force des croyances ? —, il éclaire toute l’ambiguïté de nos perceptions du pouvoir au féminin, pris en étau entre attentes disproportionnées que les femmes soient meilleures que les hommes et suspicion larvée qu’elles risquent d’être pires.

 

Pour une libération de l’imaginaire du pouvoir des femmes

Pourtant, rien n’indique a priori que les femmes soient meilleures au pire que les hommes, dans l’exercice des responsabilités ; ni qu’elles soient plus ou moins bien outillées pour faire face aux situations les plus difficiles.

Aussi, il apparait fondamental de garantir l’égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités en situation favorable comme en situation critique. Une même vigilance sur la mixité des panels de candidat.es pressenti.es et l’équité des process de recrutement/promotion doit s’observer pour les postes les plus périlleux comme pour les postes plus gratifiants.

Au-delà de cet aspect « technique » de la sélection des leaders , tout un travail reste à faire pour débarrasser l’imaginaire du pouvoir, qu’il soit aux mains des femmes ou des hommes, de toutes ses présomptions stéréotypées (« l’homme à poigne », « la femme de paix » ou son opposée « la reine des abeilles »). En d’autres termes, le leadership n’a toujours pas de sexe mais appelle des compétences particulières que chacun.e peut développer, en s’inspirant certes de caractères culturels attribués à son genre comme à l’autre, mais aussi et surtout en assumant et faisant respecter des façons d’être et d’agir authentiques et singulières.

 

Marie Donzel
Edition : Elina Vandenbroucke