Pour rebondir sur le reportage de Marie Claire intitulé « Si j’étais un homme, m’aurait-on traitée ainsi? » et dans lequel des personnalités féminines racontaient leur expérience du leadership au féminin et des difficultés qu’elles avaient eu à surmonter en tant que femmes, nous (l’équipe du blog EVE) sommes allé rencontrer des femmes qui ont des postes à responsabilités en entreprise et se sont confrontées à des remarques significatives… D’une évolution des moeurs en cours, mais pas encore tout à fait acquise! Témoignages :
« Pouvez-vous me passer le directeur, s’il vous plait? »
Claude est directrice d’une enseigne de produits culturels*.
« J’ai un prénom mixte. Les gens supposent par défaut que je suis un homme. Et quand je décroche le téléphone, il n’est pas rare qu’on me prenne pour la secrétaire et qu’on me demande de bien vouloir transférer la communication à « Monsieur le directeur ». »
Comment le prend-elle?
« Avec humour, franchement, ça me parait pas très grave. Les jours où je suis un peu plus agacée, je réponds « Désolée, il n’y a pas de directeur ici, il va donc falloir faire affaire avec la directrice ». »
« Elle est jolie, c’est aussi ce qu’on attend d’elle dans cette fonction »
Sophie a été directrice de la communication et des partenariats dans un groupe de presse*. Coquette, elle a souvent entendu dire que « ça faisait aussi partie de son boulot » d’être agréable à regarder.
Aussi ou avant tout?
« C’est très pervers, cette histoire d’apparence, dit-elle. Ca ressemble à un compliment, mais ça vient avant la reconnaissance du travail et des qualités professionnelles. »
Avant ou à la place?
« A la place, d’une certaine façon, puisque quand je convaincs, on attribue mes succès à un prétendu « charme ». Dans cette notion de « charme », il y a un drôle de flou : mon aisance à l’oral, ma capacité d’argumentation, mon répondant sont mis dans le même sac que mon apparence. Quelque part, il y a quelque chose d’un peu dégradant pour mon travail, comme si l’emballage avait autant d’importance que le produit, la forme la même valeur que le fond. »
Aurait-elle pu échapper à cet écueil?
« C’est une question compliquée. Si je suis honnête avec même, je dois admettre que j’ai d’une certaine façon joué de cet « atout », pour me faire embaucher et ensuite pour réussir dans mon métier, un métier qui suppose effectivement une certaine capacité de séduction. Mais quand je vois que quand je suis partie, j’ai été remplacée par un homme qui lui, est assez peu soucieux de son allure, je me dis que quelque part, j’ai du me sentir « obligée » de prouver quelque chose de ce côté-là : que je pouvais être une bonne dirigeante sans sacrifier ma féminité ; une question que les hommes apparemment se pose différemment. »
« Vous ne pouvez pas tout vouloir! »
Adèle est directrice commerciale d’une marque de prêt-à-porter, actuellement en congé parental*. Cadre à haut potentiel et considérée comme telle pendant 10 ans dans sa société, elle a fait l’expérience du ralentissement de carrière au moment où elle est devenue mère. Au premier enfant, ça a été, au deuxième, ça a été à peu près, mais au troisième, bonjour les dégâts!
« Je suis une fidèle. J’ai commencé ma carrière dans cette boîte et quinze ans après, j’y suis toujours. Les dix premières années, j’ai progressé régulièrement, jusqu’à plus que doubler mon salaire et prendre de plus en plus de responsabilités. J’étais la première à dire que j’avais la chance d’être une entreprise exemplaire en matière d’accès des femmes aux postes importants. »
Comment s’est passé la première grossesse?
« A 32 ans, j’ai eu mon premier enfant. Honnêtement, c’est passé comme une lettre à la poste. J’étais en forme, j’ai travaillé jusqu’au bout, j’ai continué à suivre mes dossiers pendant mon congé et pour s’assurer que je reviendrai ensuite, on m’a offert une belle promotion. »
Et la deuxième?
« J’ai eu ma deuxième fille deux ans après. Dans la mesure où mon investissement n’avait pas faibli avec l’arrivée de mon premier enfant, cette deuxième grossesse a été plutôt bien accueillie. En revanche, je n’ai pas pu continuer à travailler pendant mon congé puisque j’avais mon premier enfant à gérer, cette fois-ci. Pas de promotion au retour, mais j’ai retrouvé mon poste en l’état, c’était déjà ça. »
Et pour le troisième enfant?
« J’ai choisi de faire un troisième bébé dans la foulée, un an et demi après. C’était un projet familial, d’avoir des enfants rapprochés et c’était aussi pour moi le souhait d’avoir fait tous mes enfants avant 35 ans, pour relancer ma carrière ensuite. Mais cette troisième grossesse en quatre ans n’a pas réjoui la direction, c’est le moins qu’on puisse dire. Avant que j’annonce cette nouvelle maternité, on m’avait promis une importante prime, car j’avais plus qu’atteint mes objectifs l’année précédente. Mais le versement de cette prime a traîné pendant des mois. A 7 mois de grossesse, je suis allée voir la DRH pour essayer de comprendre pourquoi la prime promise n’était toujours pas sur mon compte. On m’a répondu : « On en reparlera à votre retour ». Comment ça? Cette prime m’était due, non, puisqu’elle correspondait à mes résultats passés? La conversation était tendue. Comme une réorganisation de nombreux services était en cours, j’ai profité de l’occasion pour demander des garanties sur le fait que je retrouverai mon poste à mon retour. On m’a dit, d’un air un peu excédé : « Vous ne pouvez pas tout vouloir! On vous a déjà beaucoup donné, on vous a laissé faire vos enfants, personne ne vous l’a reproché, mais on ne peut pas non plus tout exiger tout le temps. » J’ai eu la désagréable impression d’être traitée en gamine gâtée, alors que jusqu’ici je n’avais du ma progression qu’à mon travail et à mes capacités d’organisation pour mener de front ma vie privée et ma vie professionnelle. »
« Elle est pire qu’un mec… Surtout avec les autres femmes »
Hélène dirige une unité hospitalière*. Elle s’entend régulièrement dire qu’elle est « dure ».
A-t-elle l’impression de devoir l’être pour s’imposer?
« Franchement non. C’est un avantage de mon métier, il y a des protocoles et il faut les respecter. La hiérarchie se justifie. Après, dans l’encadrement au quotidien, j’ai parfois l’impression qu’on attendrait de moi une plus grande indulgence du fait que je suis une femme. Par exemple, une personne de mon équipe s’est scandalisée que je lui refuse les congés enfant-malade qu’elle avait planifiés sur toute l’année. Il n’y avait pas de raison que j’accepte ça. J’ai su par les syndicats qu’elle interprétait mon refus comme un défaut de compréhension de sa situation lié au fait que je n’ai moi-même pas d’enfant. »
Un homme n’aurait-il pas été lui aussi attaqué dans un conflit de ce type ?
« Si, très probablement, mais on lui aurait reproché une forme de misogynie, je pense. Et à choisir, quitte à recevoir un reproche injuste, j’aime autant qu’on me qualifie de misogyne, même si ce n’est pas le cas, plutôt qu’on s’intéresse à ma vie privée pour déterminer si je prends des décisions justes ou pas. »
A-t-elle le sentiment d’en demander plus aux femmes de son équipe qu’aux hommes ?
« Je crois que je ne fais pas de différence, mais il est vrai que j’ai parfois envie de secouer certaines femmes qui aspirent à progresser mais ne font pas tout ce qu’il faut pour. Je suis bien placée pour savoir qu’accéder aux responsabilités n’est pas évident pour une femme, mais je sais aussi qu’il faut surtout travailler, se battre, prouver des choses parce que ça ne tombera pas tout cuit. »
« Ces remarques sont si fréquentes que je les ai intégrées comme une contrainte professionnelle parmi d’autres »
Mélanie est directrice éditoriale.*
Quand on l’interroge sur les remarques « déplacées » qu’elle a pu entendre, elle a du mal à répondre : « Le sujet est vaste. Ces micro-agressions sont tellement courantes que j’avoue, j’ai fini par ne plus les relever. En fait, je les ai intégrées comme une contrainte professionnelle parmi d’autres. »
Est-ce à dire qu’elle a fait de ces « contraintes » une force?
« Oui, d’une certaine façon. Quand on est régulièrement confrontée à des remarques inconsciemment misogynes – et elle insiste sur le caractère inconscient et involontaire des commentaires inappropriés de ses collaborateurs –, on acquiert une certaine agilité intellectuelle qui finit par rendre plus performante. »
Une chance, alors ?
« Un état de fait, avec lequel composer. Si on est forte, c’est une chance. Pour les femmes qui ne sont pas sûres d’elle, c’est sans doute un frein à leur audace, à leur détermination. Je ne peux parler à leur place, cependant. »
* A la demande des témoins, les prénoms et la description des entreprises ont été modifiés.
Propos recueillis par Marie Donzel