Rencontre avec Anne Guillaumat de Blignières,Présidente du réseau AlterEgales, Co-présidente de Financi’Elles, Médiatrice du Groupe Caisse des Dépôts.
Eve le blog : Bonjour Anne. Vous avez été en charge de la promotion des femmes de 2010 à 2015 et avez bâti toute la politique mixité de l’entreprise. Quelles ont été vos inspirations, pour construire cette politique ?
Anne Guillaumat de Blignières : Cette mission m’a été confiée à un moment où l’on s’est remis à beaucoup parler d’égalité en entreprise, et surtout l’évoquer dans des termes nouveaux, quand la corrélation entre mixité et performance est devenue un sujet stratégique. De nombreuses études récentes (McKinsey, le Crédit Suisse Research Institute, Millward Brown, Sodexo …) ont démontré ce lien étroit, et mis en valeur les bénéfices pour l’activité économique.
C’est le cœur de la démarche engagée par le Groupe Caisse des Dépôts pour « booster » l’égalité des chances. A cette époque, j’ai aussi beaucoup consulté : des expertes comme Armelle Carminati et Brigitte Grésy qui m’ont exposé les enjeux et leur vision de l’égalité ; des représentantes des premiers réseaux de femmes dans le secteur banques finances et assurance qui avaient déjà Financi’Elles en tête… J’ai fait mon miel de tout cela et ensuite, très studieusement, j’ai proposé un plan d’action.
Eve le blog : Quels sont les piliers de ce plan d’action ?
Anne Guillaumat de Blignières : Notre plan d’action mixité repose sur 3 piliers : un Observatoire de la mixité dans le Groupe, une déclinaison du dispositif Copé-Zimmermann (« ndlr : Loi du 27 janvier 2011 relative à « la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance) dans toutes les entités et filiales et un réseau professionnel de cadres engagés en faveur de la mixité, mais initialement essentiellement féminin.
En 2013, le Directeur général a signé une convention-cadre avec la Ministre des Droits des femmes, qui solennisait nos objectifs et nos engagements en terme de mixité.
Eve le blog : Entrons dans le détail de chaque levier. Pour commencer, quelle est la mission de l’Observatoire ?
Anne Guillaumat de Blignières : L’Observatoire a vocation à faire un état des lieux de la mixité dans l’entreprise et à en mesurer les progrès. Il produit des études internes qui évaluent le taux de féminisation dans chaque entité ou filiale, à chaque niveau de la hiérarchie, pour chaque statut (fonctionnaires et salariés de droit privé).
Il s’intéresse aussi au recrutement et fait appliquer aux « chasseurs de tête » qui interviennent pour le Groupe le même principe qu’aux RH en interne : une obligation de proposer un minimum de profils féminins pour chaque poste de cadre à pourvoir (toute dérogation à cette exigence devant être systématiquement motivée). L’Observatoire compare aussi les réussites des candidats dans des concours internes, pour sensibiliser les jurys à la problématique de genre lors des oraux (pour cet aspect de la mission, je me suis inspirée du travail que Nathalie Loiseau a mené à l’ENA).
L’Observatoire synthétise l’ensemble des pratiques innovantes mises en place par les différentes DRH du Groupe, afin d’en faciliter le partage.
Enfin, l’Observatoire suit attentivement les viviers de talents pour s’assurer, d’une part, que l’on y repère suffisamment de jeunes femmes au début de carrière prometteur, et, d’autre part, qu’elles progressent dans le temps comme elles le méritent. On sait qu’il y a un moment critique pour les femmes juste après le passage cadre : c’est là qu’elles « décrochent » et que l’équilibre femmes/hommes s’inverse dans les organisations. Ce phénomène est immédiatement lisible dans ce qu’on a appelé le schéma « poisson »… Et notre objectif, c’est de refermer la bouche du poisson, en rétrécissant les écarts au niveau du senior management et des comex.
Eve le blog : C’est pourquoi vous avez proposé de dupliquer le dispositif Copé-Zimmermann dans l’ensemble d’un Groupe, alors que pourtant toutes les filiales ne sont pas concernées par l’obligation de féminiser à 40% leur CA, d’ici 2017 ?
Anne Guillaumat de Blignières : Le dispositif Copé-Zimmermann est intéressant pour un Groupe comme le nôtre, pour 3 raisons :
– Premièrement, parce qu’il offre un cadre légitime aux objectifs chiffrés (ou « quotas », disons le mot) de féminisation du leadership, cadre étendu en 2014 aux entreprises de plus de 249 salariés. J’y suis favorable car c’est un outil efficace pour accélérer la donne. Preuve en est que le CAC 40 est passé de 10% à plus de 30% de femmes dans ses CA en 5 ans et que cela s’est souvent accompagné de politiques d’égalité ayant un champ d’action bien plus large que la seule féminisation des conseils d’administration.
– Deuxièmement, le groupe Caisse des Dépôts détient un très grand nombre de mandats sociaux internes : près de 1800. Chez nous, féminiser la gouvernance, c’est mettre en visibilité un nombre important de femmes, avec tout ce que cela entraîne : un impact de mixité plus rapidement observable, des rôles-modèles diversifiés pour stimuler l’ambition d’autres femmes…
– Troisièmement, ce principe de duplication du dispositif Copé-Zimmermann a permis à toutes nos filiales de s’emparer de la question de la mixité de la gouvernance, en repérant leurs collaboratrices « mandatairisables ». Nous avons aussi créé un indice de parité, inscrit désormais dans le rapport RSE du Groupe.
Eve le blog : Et le troisième volet de cette politique, c’est le réseau Alter Egales… Pouvez-vous nous en retracer l’histoire, nous en exposer les valeurs et nous expliquer les missions?
Anne Guillaumat de Blignières : Le réseau a été créé fin 2011 et avant même son lancement officiel il rassemblait déjà 1200 personnes. C’est bien le signe qu’il y avait une forte attente.
Son nom Alter Egales dit beaucoup de son esprit : c’est l’égalité et l’altérité, ensemble. Une égalité qui ne sépare pas, une altérité qui ne hiérarchise pas.
Notre valeur phare, c’est la confiance : cela fait écho à la devise du Groupe (« la foi publique »), bien sûr, et c’est, selon moi, l’un des plus puissants moteurs du développement, développement personnel, développement économique, progrès social.
Le réseau est très actif : il a son propre programme de mentorat, Fides (encore la confiance !), ses think tanks qui travaillent sur des sujets stratégiques pour le Groupe (par exemple, l’étude « regards de femmes sur le viager » a vu ses propositions intégrées dans l’offre Viager de la Caisse des Dépôts), propose des ateliers du leadership et des conférences d’histoire sur des personnages célèbres qui ont su transformer leur destin (de Catherine de Russie à Hélène Lazareff en passant par George Sand, Marie Curie ou Winston Churchill). Le réseau est sponsor de nombreux événements : la course Odyssea à laquelle plus de 900 collaborateurs ont participé, le Forum Elle Active, le Raid Aïcha des Gazelles…
Alter Egales est la seule plateforme collaborative du Groupe commune à toutes les filiales, ce qui lui permet de donner beaucoup d’ampleur à ses projets et de participer, dans les faits, au décloisonnement du Groupe et à sa transformation.
Eve le blog : Anne, on vous connaît encore comme co-Présidente de Financi’Elles, la fédération des réseaux mixité du secteur banque, finance et assurance. A quel moment avez-vous décidé de mailler Alter Egales avec d’autres réseaux, et pourquoi?
Anne Guillaumat de Blignières : Avant même le démarrage officiel d’Alter Egales, il était déjà convenu de rejoindre Financi’Elles, dont le lancement s’est fait ici-même, à la Caisse des Dépôts.
L’objet de Financi’Elles est d’accélérer l’agenda de la mixité. Pour cela, la fédération est à la fois un espace de partage des bonnes pratiques entre nos 12 entreprises, un levier d’émulation et parfois même un lobby qui prend publiquement la parole sur le sujet de l’égalité professionnelle et le fait avancer auprès des dirigeants, des pouvoirs publics, et des instances européennes. Nous avons pour marraine Christine Lagarde et de hauts responsables politiques président nos dîners d’administratrices : l’an dernier, Pierre Moscovici et cette année, ce sera Emmanuel Macron.
Eve le blog : Vous venez de quitter vos fonctions à la direction de la promotion des femmes du Groupe Caisse des Dépôts, pour devenir médiatrice du Groupe. Quel bilan tirez-vous de ces cinq années et quel message voulez-vous passer aux personnes qui vont prendre votre relais?
Anne Guillaumat de Blignières : J’ai vécu cinq années passionnantes, extrêmement stimulantes, j’ai fait des rencontres extraordinaires (avec les femmes du Comité des Sages d’EVE, en particulier!), j’ai le sentiment d’avoir contribué à faire progresser la conscience et les connaissances sur le sujet de la mixité dans notre entreprise, et des avancées manifestes ont été accomplies sur le terrain.
Mais le travail n’est pas terminé : l’égalité progresse quand on s’y intéresse, régresse quand on la délaisse. Il y a un véritable enjeu de pérennisation. C’est Anne-Lise Voisin-Pelliet qui prend la suite du dossier, en tant que responsable égalité professionnelle et qualité de vie. C’est une femme de conviction très investie dans le réseau Alter Egales.
Quant à moi, je poursuis avec ténacité et enthousiasme : je demeure présidente d’Alter Egales et co-Présidente de Financi’Elles, et je défends toujours les droits des femmes et les bienfaits de la mixité dans tous les espaces de ma vie professionnelle et personnelle.
Propos recueillis par Marie Donzel, pour le blog EVE.