Rencontre avec Benoît Montet, Directeur France et membre de la recherche internationale du Top Employer Institute
Nos partenaires SNCF et Orange recevaient il y a quelques mois le label Top Employer 2015.
Pour en savoir plus sur cette certification en particulier et, de façon plus générale, sur le besoin croissant d’évaluer la qualité de l’expérience professionnelle des collaborateurs et collaboratrices, nous avons interrogé Benoît Montet, Directeur France du Top Employers Institute.
Eve le blog : Bonjour Benoît. Pouvez-vous expliquer en quelques mots ce qu’est le Top Employers Institute ?
Benoît Montet : Le Top Employers Institute est une société qui audite et certifie les bonnes pratiques de management et RH dans l’entreprise, à partir d’un référentiel élaboré par recensement et analyse des initiatives en faveur de l’amélioration de la qualité de vie au travail, partout dans le monde.
Le Top Employers Institute est né il y a près de 25 ans, il a un rayonnement international et conjugue depuis toujours ses activités de certification avec des activités de recherche. Ce qu’il propose aux entreprises, ce n’est pas qu’un label, c’est une méthodologie qui leur permet de se situer par le diagnostic et l’évaluation, mais aussi de penser en profondeur leur organisation, pour pouvoir la faire se transformer et innover.
Eve le blog : En travaillant sur le sujet depuis deux décennies, vous avez vu des premières loges, grandir la préoccupation des entreprises de se comporter en « bons employeurs »… Quel regard portez-vous sur cette tendance ? C’est une mode ?
Benoît Montet : La question de la qualité de l’entreprise en tant qu’employeur n’est pas neuve. Dès le XIXè siècle, on comprend que des personnes bien traitées, qui ont de bonnes conditions de travail, sont plus productives. Ce qui a évolué, c’est l’approche de cette question et de ce fait, les pratiques.
On ne se préoccupe plus seulement de conditions de travail mais on recherche à augmenter globalement la qualité de l’expérience professionnelle. Ce n’est pas une simple reformulation, pas une mode non plus, c’est une montée en maturité. On traite de l’humain en ressource diverse, consciente et complexe, qui ne peut se contenter de pain et de jeu (de tickets restau et d’un baby-foot à l’accueil, si on veut vulgariser !), et qui n’a pas tant besoin qu’on lui donne des choses que les moyens de pouvoir vivre des choses.
Eve le blog : A quoi attribuez-vous ce changement de perspective ? Qu’est-ce qui a changé le regard des entreprises sur le vécu professionnel de leurs collaboratrices et collaborateurs ?
Benoît Montet : Je serais tenté de répondre que c’est le changement de regard des collaborateurs sur l’entreprise qui a changé le regard de l’entreprise sur eux ! Les grandes évolutions économiques, technologiques et socio-culturelles des dernières années ont incontestablement transformé le rapport au travail : il est devenu cliché de dire que l’on ne se projette plus dans une carrière linéaire, avec un même métier, dans une entreprise où l’on va passer toute sa vie.
L’entreprise se trouve en concurrence avec d’autres entreprises, ce que l’on observe en particulier sur le marché très compétitifs des talents. L’entreprise est aussi en concurrence avec d’autres espaces d’existence, de socialisation et d’expression des qualités de la personne. On n’attend plus tout de son job, alors on attend beaucoup plus de son job ! Sans se payer d’illusions : la marque employeur, à la différence de la marque produit, ne peut pas se bâtir sur la promesse. Il faut des actes et des actes vraiment démontrés, qui ont des effets réels sur le vécu des personnes.
Eve le blog : Etes-vous en train de dire que ce que l’on appelle le « social washing » ne trompe personne ?
Benoît Montet : Il faut se méfier de la critique maussade qui voit dans toute action de communication une tentative de tromper les esprits. Je ne vois pas d’objection à ce que les entreprises fassent savoir qu’elles agissent pour améliorer la qualité de vie en leur sein, si elles le font vraiment. Et cela d’autant qu’en communiquant, vous jouez votre image et vous vous imposez d’être et de rester à la hauteur : si vous faites savoir que vous avez été certifié Top Employer une année, vous n’avez pas envie de ne plus l’être les années suivantes ! Ça vous entraîne dans une logique d’amélioration continue.
Mais la marque employeur, ce ne peut jamais être de la comm’ de façade, car le premier communiquant de l’entreprise-employeur, son premier ambassadeur, c’est son salarié. Son envie d’endosser la marque, autrement dit son engagement, ne se commande pas : cela s’inspire et se cultive, en donnant à chacun-e les conditions de son développement.
Eve le blog : Comment procédez-vous, chez Top Employers, pour évaluer et certifier la capacité d’une organisation à offrir de bonnes conditions de développement à ses collaborateurs et collaboratrices ?
Benoît Montet : Nous utilisons un référentiel, propre à Top Employers, bâti à partir de plus de 850 pratiques répertoriées partout dans le monde.
Ce référentiel regroupe 9 grandes thématiques autour de 3 angles : la stratégie (gestion des talents, planification des effectifs, développement du leadership), les RH (recrutement et parcours, bien-être et avantages sociaux, formation) et en transverse, tout ce qui relève de la culture d’entreprise (mesure de l’engagement, communication interne, éthique et intégrité, diversité…).
Ce référentiel a la particularité de ne pas être figé : il s’enrichit incessamment de nouvelles pratiques, captant ainsi l’innovation sociale pour pouvoir la partager et la dupliquer. Il fait aussi l’objet d’un travail constant de simplification, qui passe notamment par le fait de sortir du référentiel des pratiques qui ne sont plus efficaces ou qui ne répondent plus à un enjeu. En matière de qualité et d’innovation, on n’a pas besoin d’avoir une multitude d’outils, on a besoin d’outils matures, simples à comprendre, simples à mettre en œuvre et qui touchent juste.
Il y a quelques semaines, lors d’une conférence du club HEC, j’ai entendu Valérie Mellul, DRH du Groupe Nexcity, expliquer très bien cela, en racontant comment elle avait revisité tous les process RH de l’entreprise en les réécrivant avec les salarié-es, à partir de leurs demandes et avec leurs mots à eux ; après quoi, elle a supprimé des process RH tout ce qui ne répondait pas à ce que les salarié-es avaient exprimé.
Une autre particularité de la méthodologie Top Employers, c’est qu’elle n’évalue pas seulement les pratiques et les procédures, mais aussi et de plus en plus les façons de s’y prendre, la mesure de leur résultat et leur digitalisation.
Eve le blog : Tout cela challenge beaucoup la fonction RH….
Benoît Montet : Indiscutablement, la fonction RH est aujourd’hui bousculée, non seulement dans ses façons de faire, mais aussi et peut-être surtout dans son positionnement et dans son rôle. Elle se réinvente et s’enrichit à mesure que les contextes sociaux et socio-culturels évoluent. Elle est aussi interrogée par tout ce qui interpelle l’entreprise, je pense en particulier à toutes les questions sociétales : le dialogue avec les parties prenantes, par exemple, élargit bien au-delà des salarié-es le champ de l’humain-e entrant dans la responsabilité de l’entreprise. C’est ce qui se dessine notamment avec le projet de loi sur la sous-traitance qui pose le principe d’une vigilance du donneur d’ordre sur le respect non seulement du droit du travail chez ses fournisseurs, mais aussi des droits humains dans les régions de production.
Ces évolutions changent la vision de l’entreprise par rapport à ses environnements et change la donne pour tous les services de l’entreprise (les achats, le juridique, le marketing, le commercial, la communication et aussi les RH). Ca modifie également les rapports entre ces services, la façon dont on fait circuler l’information, dont on prend les décisions, dont on les applique…
C’est l’organisation dans son ensemble qui se transforme avec l’extension du domaine de l’humain dans l’économie.
Propos recueillis par Marie Donzel, pour le blog EVE.