Caroline Crocé-Spinelli est directrice de la communication de KPMG France.
Dans le cadre de notre dossier « femmes et médias » nous lui avons demandé de nous raconter son parcours, afin de brosser, à travers son portrait, la nature vivante d’une profession au défi d’incessantes transformations. Ça l’a d’abord étonnée que l’on veuille ainsi braquer les projecteurs sur sa personne. Elle s’est finalement laissée convaincre que se raconter, c’était donner à voir une expérience humaine et inspirante du métier qui la passionne depuis toujours.
Portrait d’une pro doublée d’une femme épanouie dans toutes ses vies.
Quand elle était enfant puis adolescente, Caroline rêvait de devenir diplomate pour voir le monde ou alors… Journaliste pour le donner à voir et à comprendre. Lectrice assidue de la presse et spectatrice fidèle aux rendez-vous télévisuels qui lui ouvrent en images les premières portes de l’actualité, elle est très impressionnée par les figures emblématiques des médias que sont alors Pierre Lazareff avec son émission Cinq colonnes à la Une ou Françoise Giroud. Encouragée à se tourner vers ce qui a bien l’air d’être une vocation, elle imagine déjà les contours de ce que pourrait être son métier…
C’est à l’Ecole Active Bilingue qu’on l’inscrit, un « établissement mixte, c’est rare pour l’époque » où l’on envisage l’enseignement de façon ultra-novatrice, à l’anglo-saxonne, dans un cadre propice à l’épanouissement du talent personnel au sein d’un collectif stimulant. « Un environnement international également avec de nombreux élèves, enfants de diplomates ou d’expatriés, fiers de partager leur culture« .
Elle en sort bachelière à seize ans, mention très bien s’entend, parlant anglais, russe et allemand, et dotée d’un bon « réseau de copains aux quatre coins du monde« . Tentée par HEC, qui vient de s’ouvrir aux filles, elle préfère finalement Sciences Po, parce que la prestigieuse école de la rue Saint-Guillaume a une image « plus culturelle » et parce que « l’action publique » la passionne. De fait, le contenu des cours est intéressant mais la filière Service Public dans laquelle elle s’est engagée lui paraît trop limitée dans son champ d’analyse et le ton sonne « si académique » à ses oreilles d’étudiante formée aux échanges ouverts et naturels avec les profs. Elle fait ensuit du droit et passe trois mois à Harvard où elle suit des cours de politique internationale et de communication politique… Une expérience fabuleuse qui lui laisse un goût de trop-peu! A son retour, elle revient à ses premières amours en s’inscrivant à l’Institut Français de la Presse de la Sorbonne où elle rencontre d’ailleurs son mari, passionné lui aussi par la communication politique.
Le cab’ du Ministre de la Culture, « à 20 ans, ça ne se refuse pas«
Ses recherches de stage l’amènent à trouver son premier job au Cabinet du Ministre de la Culture qui s’apprête à lancer en 1980, l’Année du Patrimoine. Ce n’est pas un poste de journaliste certes, mais « à 20 ans ça ne se refuse pas » et la voilà qui prend ses quartiers dans « un petit bureau sous les toits donnant sur les jardins du palais Royal » où l’on déborde d’idées innovantes pour faire vivre la culture et la rendre accessible au plus grand nombre par un foisonnement inédit d’actions de communication menées en direction du grand public.
Ayant pris goût au métier de chargée de communication et persuadée qu’elle peut reporter son projet de devenir journaliste à plus tard, elle quitte la culture en 1981, pour rejoindre l’équipe en charge d’accompagner le lancement d’un nouvel établissement financier issu de la fusion du Crédit Hôtelier et de la Caisse Nationale des Marchés de l’Etat : le Crédit d’Equipement des PME. Elle fait y ses classes en entreprise, envoyée « tourner sur le terrain avec les commerciaux de la banque à la rencontre de la réalité des PME » et se familiarise avec les règles de fonctionnement d’une grande société. Les nombreux défis relatifs au déploiement d’une nouvelle marque, à son installation dans les régions, tant en interne qu’auprès des clients, la passionnent. Elle doit faire preuve d’initiative dans des situations et contextes régionaux très divers pour relever les nombreux challenges de communication résultant de cette fusion qui génère un très fort changement culturel et nécessite de faire adhérer de nombreuses équipes au nouvel enjeu : « comprendre son environnement, élaborer et partager des éléments de langage, formuler habilement, anticiper et convaincre avec patience et enthousiasme… »
Communication : science de la réponse à d’incessantes transformations
Dans le poste qu’elle occupe ensuite, à la direction de la communication de la Caisse des Dépôts et Consignations, sous la houlette d’une exigeante Dir’ Comm’, elle apprend à revisiter constamment les fondamentaux du métier à l’aune des transformations de son environnement et à s’assurer que toute communication produite est bien porteuse de sens. Car « Communiquer, c’est créer de la valeur en rendant accessible et intelligible la stratégie de l’organisation, en facilitant son appropriation par l’interne pour qu’elle puisse être partagée collectivement« .
Le Président de la Région Île de France nouvellement instituée en 1986, lui propose ensuite de rejoindre ses équipes. D’abord comme attachée de presse, puis rapidement, il la nomme directrice de la communication. Il a vu en elle une personne capable de s’emparer avec la même curiosité et le même enthousiasme de multiples sujets touchant à la vie de la Cité (l’apprentissage, la culture, les transports, le logement, le sport…) et de les articuler finement pour rendre lisible le projet de la collectivité. Ce sont des années qui comptent beaucoup dans l’approfondissement de sa connaissance du métier. Elle en fait d’ailleurs le récit en brossant à grands renforts d’anecdotes, la fresque d’une équipée ultra-motivée au service d’une structure territoriale qui monte en puissance sous l’effet des lois de décentralisation. Elle s’engage notamment aux côtés des acteurs de la filière de l’apprentissage pour contribuer, via des campagnes de grande ampleur, à donner ses lettres de noblesse à une formation peu valorisée auprès des jeunes, et année après année, voit les chiffres du nombre d’apprentis en Ile de France croître de façon remarquable.
« A l’époque, on parle peu d’équilibre des temps de vie, et encore moins dans la sphère des politiques »
Passionnantes, ces années sont aussi redoutablement intenses. Très vite, le sujet de l’organisation du temps devient une priorité pour la jeune Dir’ Comm’ qui met au monde son troisième enfant en 1988 tandis que son mari partage ses semaines entre Paris et Albertville où il est impliqué dans la préparation des Jeux Olympiques. A l’époque, on parle peu d’équilibre des temps de vie et « moins encore dans la sphère des politiques, un univers encore très masculin« . Il s’agit donc d’inventer son propre modèle.
Bénéficiant d’une proximité géographique bien commode avec son bureau et soutenue par la conception de la vie très centrée autour de la famille de son patron, elle décide de « conserver une véritable fluidité entre vie privée et vie professionnelle ». Ce rythme de vie ouvert et un grand sens de l’organisation et des priorités lui permettent de faire face aux impératifs de ses deux vies en ayant souvent à faire face aux problèmes concomitamment ! Ainsi, elle continue à être « en ligne avec un journaliste du Monde ou un reporter de France 3 tout en regardant les devoirs des enfants et repart en séance de nuit après le dîner familial« .
Face au dilemme des femmes actives, être une pro engagée ou une mère disponible, elle entraîne pendant 12 ans, toute sa famille dans ses aventures régionales ; ce qui facilite l’acceptation par tous de cet équilibre sans cesse menacé.
Entrée dans le monde de l’audit et de l’expertise comptable à la faveur d’une volonté de « fertilisation croisée des cultures«
En 1998, l’expérience régionale s’achève, l’aura de l’aventure politique s’est aussi effrité à ses yeux et l’heure lui semble être revenue d’envisager le retour dans le secteur privé.
Cela arrive aux oreilles du Président de Salustro-Reydel, qui cherche une professionnelle de la communication, rodée à des univers multiples et sensible aux affaires publiques pour son cabinet. Il est cependant mis en garde : elle « n’est pas une spécialiste de la compta et ne connait pas le métier de l’audit !« . Il la recrute en précisant qu’il est « pour la fertilisation croisée des cultures! »
Plongée dans un univers aux antipodes de ce qu’elle avait connu jusqu’alors, elle découvre une organisation et des métiers d’une richesse exaltante.
Elle assiste aussi, depuis ce poste d’observation privilégié, à l’irruption de la crise financière et à la forte crise de confiance qui traverse les métiers de la finance. Le temps est venu de rompre avec la tradition du secret et du silence de ces métiers : il faut expliquer, faire comprendre le rôle de cette profession dans l’économie à de très nombreux relais d’opinion, c’est une « carte à jouer sans égal pour la modernisation de l’image de nos cabinets et leur plus grande attractivité auprès des jeunes. »
Conviction : la conciliation vie privée/vie professionnelle est la clé de l’engagement des talents féminins au bénéfice de la performance de l’entreprise
Chez Salustro-Reydel, outre les liens d’amitié réelle qu’elle est amenée à tisser avec certain-es associé-es, elle fait la connaissance de jeunes femmes talentueuses, parmi lesquelles les futures EVEsiennes Marie Guillemot et Isabelle Goalec, qui aspirent à des modèles nouveaux de conciliation vie professionnelle/vie familiale. Depuis toujours, elle est convaincue que cette question s’adresse à toutes les générations, qu’elle est clé pour l’engagement des talents féminins et qu’il peut en découler une multitude de bienfaits pour la performance de l’entreprise.
Alors, quand en 2004, le cabinet rejoint KPMG et qu’elle y est nommée directrice de la communication par son Président, elle met cette question, parmi de nombreuses autres, à l’agenda. Et trouve du soutien auprès de la vivifiante Directrice des Ressources Humaines Sylvie Bernard Curie, « une femme de conviction et de talent« .
Elles se comprennent et se font comprendre : il ne s’agit pas d’avoir une politique « femme« , ni même « égalité » pour vernir l’image du groupe, mais bien de considérer et de faire se croiser tous les sujets qui font la réalité de l’entreprise, le business (ses pratiques et son éthique), les ressources humaines (leurs enjeux et leurs évolutions), les interactions avec l’environnement économique et social (leurs exigences et la responsabilité qu’elles impliquent), et la communication (ses usages et ses perspectives).
KPMG : un « changement d’échelle » challengeant
KPMG, c’est aussi, après des années passées dans des univers professionnels « franco-français« , l’immersion dans une entreprise qui, tout en revendiquant son identité française, bénéficie du rayonnement de sa dimension internationale. Cela permet un changement d’échelle pour aborder les problématiques de communication. Le réseau international permet de confronter son expérience à celle des autres communicants de KPMG dans le monde et d’élargir sa sphère d’expertise. Elle est très vite mise au défi de montrer la valeur qu’elle va pouvoir apporter.
Ce sera immédiatement la réalisation d’une campagne de recrutement décalée pour mieux se différencier des communications menées par les autres Big. Bien que le bleu soit la couleur de KPMG, cette première campagne sera jaune ! « On m’a pourtant bien dit que nous n’étions pas chez Midas ! » La campagne au ton inédit est néanmoins acceptée et c’est un succès puisqu’elle permet au cabinet de remonter dans le classement des entreprises qui attirent le plus les jeunes diplômés. Deux autres campagnes dans la même veine suivront, qu’elle pilotera avec le même enthousiasme aux côtés de la DRH.
La communication chez KPMG, c’est aussi un autre défi à relever, celui d’apprivoiser les si nombreux process qui ponctuent le fonctionnement au quotidien du cabinet. Pour Caroline, « le risque est grand d’y perdre sa créativité« . Elle avance donc avec pragmatisme dans le dédale des métiers du cabinet et s’efforce de trouver des espaces où elle peut créer de la valeur par des idées d’actions innovantes et différenciantes.
Avec un Président très ouvert aux questions liées à la responsabilité sociale et sociétale de KPMG, qui crée une Fondation d’entreprise destinée à favoriser l’insertion des jeunes des quartiers principalement, elle met en place des projets de mécénat emblématiques et renforce la participation du cabinet à des think tanks influents pour donner de la visibilité à l’entreprise dans l’espace public. Renouant avec son expérience passée dans l’environnement des PME et sa connaissance des milieux institutionnels, elle s’investit au côté des associé-es dans des partenariats avec les principales organisations professionnelles et économiques qui oeuvrent en faveur du développement de entreprises en France, donnant ainsi une place centrale à KPMG dans le débat public sur ces questions.
A la tête d’une véritable agence interne de communication, avec un style bien à elle
A la tête d’une véritable agence interne de communication qui propose à ses clients de tous les métiers du cabinet et des autres fonctions support, un appui multi-métier allant du conseil à la production d’outils, la Dir’ Comm’ reste passionnée par son quotidien incessamment nourri de sujets nouveaux : des challenges qu’elle aime relever avec une équipe à dominante féminine, dont elle est fière et qu’elle manage avec son style à elle, mélange d’enthousiasme et de finesse, de volonté affirmée et de diplomatie, de pragmatisme et de créativité.
Auprès d’un nouveau Président qui affirme avec fierté sa différence culturelle, promeut à la fois la méditation et l’esprit combatif dans un savant exercice de style pour renforcer le leadership du Cabinet, elle sait qu’il faudra revisiter tous les champs de la communication de l’entreprise pour en accompagner au plus près les principales transformations impulsées par la nouvelle équipe. Car plus que jamais, la communication devra favoriser le partage des valeurs et être porteuse de sens.
Avec une autorité toujours respectueuse et une certaine forme de liberté dans l’expression, souvent teintée d’humour, Caroline tient solidement la barre de son parcours professionnel en évitant par-dessus tout l’écueil « d’un quotidien sans sa dose d’adrénaline« . Elle n’hésite alors pas à emprunter des chemins buissonniers, tout en s’attachant à préserver les équilibres précieux avec sa vie personnelle et familiale ou s’envole pour des voyages lointains, notamment en Asie où vit une de ses filles, qui la ressourcent.
Au début de notre entretien, elle était réticente, à se voir considérer comme un « rôle-modèle« , inspirant pour d’autres femmes qui ont la légitime ambition de s’épanouir en tout. La voilà finalement « heureuse de pouvoir transmettre » cette idée simple que « faire ses propres choix en tout et les rendre possibles pour soi et pour les autres, c’est ambitieux et c’est ce qui fonde sa motivation au quotidien« .
Marie Donzel, pour le blog EVE
Lire aussi :
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– Notre portrait de Lydwine Alexandre, ex-senior manager chez KPMG
– Notre interview de Virginie Masurel, senior manager chez KPMG au sujet de l’expatriation au féminin
– Notre boîte à outils « conciliation des temps de vie »
– Notre article consacré au partenariat de KPMG avec HEC au féminin
– Notre interview croisée Marie Guillemot/Yasser Balawi au sujet de l’expérience de cross-mentoring EVE2EVE